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Nature et Liberté

(Différences entre les versions)
(Le mythe du « bon sauvage")
(Distinction de méthode : l’universel et la règle)
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Il s’agit d’une construction entreprise à des fins politiques pour montrer que les inégalités ne sont pas naturelles, mais sociales , que la domination d’un homme sur un autre ne peut être fondée en nature. Cet état de nature (cette condition) "n’existe plus, n’a peut être point existé, et probablement n’existera jamais » (Discours Préface GF P. 149-151 Ed 1971).
Il s’agit d’une construction entreprise à des fins politiques pour montrer que les inégalités ne sont pas naturelles, mais sociales , que la domination d’un homme sur un autre ne peut être fondée en nature. Cet état de nature (cette condition) "n’existe plus, n’a peut être point existé, et probablement n’existera jamais » (Discours Préface GF P. 149-151 Ed 1971).
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===Distinction de méthode : l’universel et la règle===
===Distinction de méthode : l’universel et la règle===

Version du 21 septembre 2009 à 14:18


Sommaire

Introduction

Le mythe de Prométhée ( voir la version du Protagoras de Platon)décrit l'homme comme un être incomplet, inachevé. C'est le moins accompli de tous les animaux. Il y a une déficience en l'homme, mais la culture vient justement combler ce manque: la déficience qui est en lui va lui imposer de se développer par ses propres forces. Le mythe met en place l'opposition homme-animal, nature-culture.


Là où l’animal est toujours tout ce qu’il peut être, a une perfection relative parce qu’il est enfermé dans le cercle de ses instincts, l’homme a à se faire : il y a une place pour sa liberté de choix, et la société dans laquelle il se trouve joue un rôle essentiel.

Culture de "colere" : améliorer, achever, mettre en valeur.

Réfléchir sur la culture, c’est réfléchir à ce qui sépare l’homme de l’animalité et sur l'achèvement de l'homme.

Pascal « L’homme n’est produit que pour l’infinité »

Rousseau : « L’homme est perfectible »

Le mot culture se met aussi au pluriel:y-a-t-il diverses voies d'achèvement de l'homme, faut-il en privilégier une? E Kant considère que le progrès technique n'est pas la dimension essentielle : l'homme est doté de raison , son perfectionnement est celui du bon usage de la raison.


Peut on a bon droit parler de nature humaine?

NB : dans l’expérience, on ne rencontre que des hommes vivant en société, donc toujours immergés dans une culture : même Robinson, seul dans son ile a sa Bible, ses outils …


Distinguons nature et culture : distinction conceptuelle:

La nature : C’est d’abord l’ensemble des réalités qui existent abstraction faite des transformations que l’homme y a produites : vents, planètes ; L’homme lui même en tant qu’être vivant fait partie de la nature. Son organisme obéit à des lois physico-chimiques.

Il possède en naissant un certain nombre d’aptitudes (innées = in natus, nées dans). Ces aptitudes se transmettent par hérédité biologique.

La culture : comprend tout ce qui dans le milieu est dû à l’homme ; tout ce qui n’existerait pas sans l’activité humaine (Le livre, la table, le marteau, l’œuvre d’art). La culture regroupe donc l’ensemble des réalités matérielles et spirituelles produites par l’homme et qui se transmettent non pas par hérédité biologique mais par tradition, au sein des sociétés. ( importance du langage) La culture peut comprendre des techniques du corps : se tenir accroupi plutôt qu’assis sur une chaise, nager……

Le mot culture se dit au pluriel. Il est alors un équivalent de civilisation. Il y a de multiples cultures humaines (même si, comme nous le verrons, ce fait a été difficilement reconnu). Chaque culture a sa langue, ses réalisations spirituelles, matérielles, ses mœurs.


Malinovski distingue quatre principaux points :

La base matérielle : biens matériels, techniques.

L’organisation sociale.

Le langage (transmission traditionnelle)

Un ensemble de valeurs spirituelles.(normes et valeurs)


Les difficultés d'une telle distinction

La nature porte l’empreinte de l’homme, l’homme lui-même est modifié par l’homme, c'est-à-dire par la société.

Regarder un paysage « naturel » peut être une expérience trompeuse : un champ, un arbre sont le produit de l’activité humaine, les campagnes ont été transformées par le travail. L’homme lui même est dès sa naissance transformé par l’éducation. Il reçoit l’empreinte de sa culture. Il est donc très difficile quand on regarde vivre des hommes de démêler la part de l’innéité (ou de la nature) de la part due à la société.

Certains traits de comportement que nous attribuons à l’instinct, ont peut être été modelés par la culture.

Actuellement, les sociologues parlent de socialisation différentielle pour nommer la manière dont l’éducation forme les filles d’un côté, les garçons de l’autre dans une société (les filles ne naissent pas nanties d’un talent tout particulier pour la cuisine ou le ménage…), ou pour désigner la résultante de l’appartenance à deux classes sociales différentes : on ne naît pas ouvrier ou bourgeois.

Margaret Mead, dans « Mœurs et sexualité en Océanie » a tenté de montré que les « traits de caractère » reconnus pour masculins ou féminins variaient selon les sociétés. On ne peut parler selon elle de « caractère masculin », biologiquement défini. Chez les ARAPESH, garçons et filles sont doux paisibles sans agressivité.

Christine Destrez note comment en Kabylie on apprend à se comporter comme une femme : « marcher en baissant la tête, travailler échine courbée »

La sensibilité et les émotions sont construites : on apprend à un garçon à ne pas pleurer.

Elisabeth Badinter dans « L’amour en plus » s’est interrogée sur l’ « instinct maternel » pour montrer justement qu’il était le produit de la culture.

Nos aptitudes physiques sont plus ou moins « cultivées » : nous privilégions le sens de la vue. Certaines sociétés américaines de chasseurs privilégient l’odorat.

Les hommes transforment toujours leur corps : il porte les marques de la société : tatouages, mutilations rituelles … sont des signes d’appartenance à un groupe.

Le corps est pris dans un système de valeurs sociales ou religieuses. ( Lévi Strauss dans Tristes Tropiques décrit les peintures corporelles des Caduveo)

Il semble qu’il soit difficile de trouver la « nature » de l’homme au terme d’une enquête empirique, c'est à dire en s'appuyant sur l'expérience. Le culturel finit par sembler originaire. Pascal écrivait : « La coutume est notre nature. Qui s’accoutume à la foi, la croit et ne peut plus ne pas craindre l’enfer, et ne croit autre chose. Qui s’accoutume à croire que le roi est terrible… . » Pensées 89-149



Tentatives pour penser l'articulation nature / culture

Malinovski écrit : nous ne connaissons jamais la culture qu’à l’état de fait accompli : nous ne l’observons jamais en train de naitre. L’homme tente pourtant de penser le passage nature-culture. Pourquoi ?

Nous cherchons à dire ce qui nous distingue de l’animalité.

Nous nous demandons ce que nous apporte la société. Contre quoi lutte t- elle ?

La tradition mythico-poétique est une tentative pour penser par images la naissance de la culture : mythe de Prométhée.

Levi-Strauss a recueilli des mythes analogues dans d'autres sociétés.


Les récits concernant des enfants sauvages

ont fasciné, mais on ignore s'il s'agit vraiment d'enfants ayant grandi hors d'un milieu culturel : Itard et Victor le sauvage de l'Aveyron. (L’enfant sauvage n’est-il pas en fait un enfant malade, autistique ? (CF Bettelheim) Un enfant peut-il survivre longtemps hors de l’ »environnement humain.)

On s’est toujours interrogé sur ce que pouvait devenir un enfant humain grandissant hors d’un contexte social.

Itard a cru pouvoir montrer avec l’enfant trouvé dans la forêt aveyronnaise et censé avoir été élevé par des animaux un bon exemple : Victor n’a pas la même sensibilité que les autres enfants (différence de goûts, d’attrait pour le chaud ou le froid), mais surtout, il ne parle pas et ne parvient plus à s’élever au niveau d’un langage abstrait. Chacun des mots qu’on lui apprend désigne pour lui un objet concret. Il semble que la culture soit essentielle, avec la transmission précoce du langage pour qu’un enfant développe normalement ses aptitudes à la pensée abstraite. L’homme naturel serait une sorte de « monstre », ni animal, ni homme.


Le mythe du « bon sauvage"

Peut-on espérer rencontrer un « homme naturel « quelque part dans une île lointaine ? Diderot, dans les « Suppléments au Voyage de Bougainville » semble parfois tomber dans cette illusion.

Diderot se sert du regard du Tahitien pour introduire la critique des mœurs et des lois européennes, critique de la propriété privée, critique du mariage et de la cellule familiale, critique de la religion. Le discours qu’il met dans la bouche du vieillard tahitien idéalise les mœurs tahitiennes en en faisant une expression directe de la nature : « Nous suivons le pur instinct de la nature. » dit le vieillard, choisissant de dire que la nature est supérieure à la convention sociale.

Or, il ne faut pas se leurrer, les mœurs tahitiennes ne sont pas plus proches de la nature que les mœurs occidentales. Il s’agit de systèmes conventionnels autres, purs produits de décisions humaines. La propriété communautaire des terres n’est pas plus naturelle que la propriété privée, la cellule familiale décrite est matrilinéaire, alors qu’en Occident elle est patrilinéaire, dans les deux cas, on a affaire à des conventions.

Diderot s’intéresse au célibat des prêtres et à la fidélité dans le mariage, inconnus à Tahiti. Il occulte le fait que les Tahitiens connaissent certainement d’autres interdits d’origine sociale ou religieuse.

Nous avons tendance à critiquer nos règles sociales parce qu’elles pèsent sur nous et limitent notre action. Si nous appartenions à une autre culture, ces autres règles « nous paraîtraient aussi intolérables » Lévi-Strauss. Mais nulle part nous ne pouvons espérer rencontrer des hommes suivant « le pur instinct de la nature ». Les hommes vivent toujours en société sous des règles conventionnelles.

Nous nommons « sauvages « (de la forêt) les hommes qui ont des mœurs différentes des nôtres, mais ils appartiennent tout autant que nous à une société qui les a modelés.


L'homme naturel, une construction intellectuelle

Rousseau dans le Discours sur l’Origine et les Fondements de l’Inégalité parmi les Hommes fait le portrait d' un homme naturel, mais il précise qu'il formule une hypothèse. Il ôte à l’homme, par abstraction tout l’apport de la société, dessine les traits d’un homme naturel, seul (sans lien social) sans langage et donc incapable de formuler des idées abstraites, qui n’est qu’un « animal stupide et borné » et pas encore un homme. L’âme humaine est comme la statue de Glaucus, défigurée par le temps, la mer et les orages et qui ressemble moins à un Dieu qu’à une bête féroce. Elle a été altérée par la société, par l’acquisition de connaissances et d’erreurs, par les passions, écrit Rousseau.

Décrire l’homme à l’état de nature lui paraît être un point de départ obligé pour comprendre de quelle manière des hommes jouissant par nature d’une liberté d’indépendance et ne connaissant d’autres inégalités que physiques,peuvent engendrer des sociétés inégalitaires où existent des rapports de domination.


Il s’agit d’une construction entreprise à des fins politiques pour montrer que les inégalités ne sont pas naturelles, mais sociales , que la domination d’un homme sur un autre ne peut être fondée en nature. Cet état de nature (cette condition) "n’existe plus, n’a peut être point existé, et probablement n’existera jamais » (Discours Préface GF P. 149-151 Ed 1971).


Distinction de méthode : l’universel et la règle

Lévi Strauss propose un critère théorique : la nature est de l’ordre de l’universel, le culturel de l’ordre de la règle.

Tout comportement universel sera dit naturel. Tout comportement humain obéissant à des règles (principes conventionnels) sera dit culturel. Une seule règle est universelle : la prohibition de l’inceste – interdiction de se marier avec une personne proche. C’est la règle fondatrice du lien social. (Mais la définition de la personne proche varie)

Reconnaitre la pluralité des cultures, une démarche difficile ?

On peut en marge de ce développement analyser un sujet de dissertation :

« Qu’est ce qu’un comportement inhumain ? »


Les dangers de l’ethnocentrisme

Lire : Montaigne les Essais - : Les cannibales. « Chacun appelle barbare ce qui n’est pas de son usage. »

Montaigne ne connait pas le concept d’ethnocentrisme, il ne l’emploie pas, mais on peut dire en un sens qu’il dénonce déjà ce que Lévi Strauss, au 20 eme siècle nommera ethnocentrisme ;

Montaigne rappelait à ses contemporains qui si le cannibalisme les faisait frémir d’horreur, c’est parce qu’ils n’en comprenaient pas la signification rituelle : il s’agit de s’emparer de la valeur, du courage qu’on a reconnus à l’ennemi. Inversement, il souligne que si la pratique courante de la torture en Occident est admise, c’est seulement parce qu’elle est habituelle. Elle devrait paraître tout aussi « inhumaine » mais on n’en voit plus la cruauté.

Il considérait que les Indigènes du Nouveau Monde pouvaient aider les hommes de son époque à porter un jugement critique sur leur société : pourquoi des adultes, des guerriers obéissent ils à un enfant ? (monarchie héréditaire)

Montaigne fait toutefois une remarque que contesterait un ethnologue contemporain : il affirme que les Indiens sont dans des sociétés moins artificielles que les nôtres, plus proches de la nature de l’homme.

Lévi Strauss construit le concept d’ethno-centrisme : ( Race et histoire )

Mettre sa race au centre, ou juger plus largement des autres cultures à partir des valeurs de sa propre société.

On peut distinguer deux degrés de l’ethnocentrisme :

Ou bien on nie radicalement l’humanité de l’autre

Ou bien on hiérarchise les cultures, en mettant la sienne au sommet en utilisant par exemple, comme les occidentaux le font, le critère progrès technique … Un progrès c’est un pas en avant, il faut toujours préciser dans quelle direction on progresse. L’Occident choisit la perspective de progrès qui est la sienne (progrès technique et scientifique) et analyse toutes les autres cultures par défaut : tel peuple en est resté à l’âge du bronze, tel peuple n’a pas inventé l’écriture.

Lévi Strauss constate toutefois que cette attitude n’est pas à proprement parler occidentale : toutes les sociétés ont en partage ce refus de reconnaitre l’altérité.

Chacun a tendance à faire cesser l’humanité aux frontières de la tribu, nous fait remarquer Lévi-Strauss. Nous rejetons hors de l’humanité, dans la nature tous ceux qui suivent des règles différentes des nôtres et (on pourrait ajouter, à l’intérieur de notre société, ceux qui s’écartent trop de la norme).

Nous nommons « comportement inhumain » tout ce qui n’obéit pas à nos conventions.

Le grec appelle barbare tout ce qui n’est pas grec.

Lévi Strauss renverse l’analyse :

Le barbare, écrit –il, "c’est celui qui croit à la barbarie". Le véritable comportement inhumain, c’est l’impuissance à reconnaître l’humanité de l’autre.

Levi-Strauss rapporte l’incompréhension mutuelle entre indiens et occidentaux : les uns se demandaient si les peuples du nouveau monde avaient une âme (controverse de Valladolid), les autres se demandaient si les espagnols étaient des dieux.

Il reproche toutefois à l’Occident d’être aveugle au fait que certaines autres cultures ont pu progresser dans d’autres voies que la sienne, préférer s’attacher à expulser la violence des relations sociales, développer religion et spiritualité, techniques de la maîtrise du corps humain, plutôt que maîtrise de la nature.

Le fait d’avoir progressé techniquement n’implique pas qu’une culture ait progressé dans tous les domaines. (Qu’est ce qu’un progrès du droit ? un progrès moral ? )

L’ ethnologie refuse par définition les jugements de valeur ( c’est une science qui décrit et qui décrit une pluralité : multiples cultures ) Elle doit être pour nous le moyen, pense Lévi Strauss de s’ouvrir à la diversité des cultures et de les mettre toutes sur le même plan