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La Recherche de la vérité par la lumière naturelle

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La Recherche de la vérité par la lumière naturelle


L'honnête homme .


Un honnête homme n'est pas obligé d'avoir vu tous les livres, ni d'avoir appris soigneusement tout ce qui s'enseigne dans les écoles : et même ce serait une espèce de défaut en son éducation, s'il avait trop employé de temps en l'exercice des lettres. Il y a beaucoup d'autres choses à faire pendant sa vie, le cours de laquelle doit être si bien mesuré, qu'il lui en reste la meilleure partie pour pratiquer les bonnes actions, qui lui devraient être enseignées par sa propre raison, s'il n'apprenait rien que d'elle seule. Mais il est entré ignorant dans le monde, et la connaissance de son premier âge n'étant appuyée que sur la faiblesse des sens et sur l'autorité des précepteurs, il est presque impossible que son imagination ne se trouve remplie d'une infinité de fausses pensées, avant que cette raison en puisse entreprendre la conduite : de sorte qu'il a besoin par après d'un très grand naturel, ou bien des instructions de quelque sage, tant pour se défaire des mauvaises doctrines dont il est préoccupé, que pour jeter les premiers fondements d'une science solide, et découvrir toutes les voies par où il puisse élever sa connaissance jusqu'au plus haut degré qu'elle puisse atteindre

DESCARTES. La recherche de la vérité par la lumière naturelle.



L'honnête homme incarnait au XVllème siècle l'idéal de son époque, idéal où les dons du corps et ceux de l'âme se joignaient aux privilèges de la naissance. Descartes précise ici l'image de l'honnête homme à la lumière de sa propre réflexion. Il oppose essentiellement à l'érudit tributaire de la pensée des anciens, l'homme qui agit dans le monde en réglant sa conduite sur les principes que lui dicte sa propre raison.

Ce texte peut être lu comme un appel à la conquête de l'autonomie intellectuelle, conquête ou plutôt reconquête, car si Descartes croit la raison humaine capable de dicter à l'homme les principes de sa conduite, il n'en déplore pas moins que l'usage de cette raison ait été occulté par l'éducation reçue dans l'enfance.

Faut-il considérer l'enfance aussi négativement que le fait Descartes ? Comment la reconquête du bon usage de la raison est elle possible ? Et qu'est cette science solide, fondée en raison et qui doit éclairer l'action ?



Etude ordonnée : quelques éléments pour procéder à cette étude ordonnée.

Descartes reste proche de l'idéal de son époque en ce que son honnête homme n'est pas un docte. Il n'est pas "obligé d'avoir vu tous les livres". On retrouve dans ce texte les échos de la critique de l'éducation reçue à La Flèche et' de l'érudition en général. Point n'est besoin de fréquenter trop longtemps les auteurs anciens puisque la vérité ne peut prendre pour critère l'opinion du plus grand nombre. Ici, toutefois, Descartes compte le temps imparti à l'étude, parce qu'il propose à l'homme un idéal d'action. Des problèmes moraux et politiques sollicitent chacun. Face à l'urgence de l'action, on pourrait se contenter d'une morale par provision et suivre les moeurs de son pays, comme le suggère le Discours de la Méthode. Descartes invite ici l'honnête homme à se forger lui même une morale raisonnée, à « pratiquer les bonnes actions » qui lui devraient être enseignées par sa propre raison" L'honnête homme cartésien ne se contente pas de suivre la coutume, il décide par lui même en toute autonomie de ce que sera sa conduite. (Il ne décide pas du bien et du mal, qui sont définis par Dieu, mais il réfléchit à ce qui sera pour lui le Souverain Bien, et il ajuste ses actions à cette perfection vers laquelle il tend. Ainsi Descartes établit-il dans les Méditations Métaphysiques les vérités fondatrices de sa morale (existence d'un esprit connu sans référence au corps, d'un Dieu qui n'est pas trompeur etc...)en s'appuyant sur sa seule raison. Descartes invite donc chacun à s'interroger sur ce qu'il lui faut connaître pour bien agir..

Toutefois, une réserve est émise : notre raison serait capable d'éclairer notre action, si une mauvaise éducation n'avait compromis cette possibilité. L'emploi du conditionnel "qui devraient" souligne la difficulté. L'enfance est décrite de manière négative, en ce qui concerne bien sûr la question de la connaissance. Deux points apparaissent décisifs : "la faiblesse des sens", trompeurs et créateurs d'illusion, auxquels l'enfant donne sa confiance et qui l'induisent à croire que le monde est en vérité tel qu'il lui est donné dans l'expérience sensible, et 1 « 'autorité des précepteurs » , parce que souvent l'éducation, loin de former le jugement, soumet l'enfant aux autorités intellectuelles de l'époque et transmet une tradition qui a de grandes chances d'être erronée, puisque l'ancienneté n'est pas un critère de vérité.

"Le malheur de l'homme est d'avoir été enfant " a écrit Descartes .L'enfant n'a aucun esprit critique lui permettant de réagir contre les aspects trompeurs de son éducation. Lorsqu'il arrive à l'âge adulte, son "imagination" se trouve "remplie d'une infinité de fausses pensées". A la connaissance rationnelle par concepts, s'oppose l'imagination. L'image reproduit le sensible et ses aspects erronés. L'enfance se laisse aller à l'imagination, l'adulte aura à combattre pour restaurer la prépondérance normale de la raison. La vérité se trouvera donc au terme d'une reconquête critique.

II faut "se défaire des mauvaises doctrines" et non seulement apprendre' à connaitre. Descartes fait ainsi du doute méthodique le point de départ de sa démarche. Si sur certains points, je constate que l'on m'a enseigné des erreurs, je dois passer au crible de la critique tout ce que je tenais pour vrai, suspendre mon jugement jusqu'à ce que j'aie trouvé l'affirmation indubitable.

La connaissance est devenue difficile à atteindre. Descartes le souligne en énonçant deux conditions de possibilité de l'ascèse intellectuelle rendue nécessaire par les aspects négatifs de l'enfance. "II a besoin d'un très grand naturel, ou bien des instructions de quelque sage". Il est difficile de douter de ses premières certitudes Il faut une volonté ferme et un souci de vérité qui place la recherche de la connaissance avant tous les autres biens. Descartes semble suggérer que cette noblesse de l'âme n'est pas donnée à tous en partage, puisque tous ne semblent pas avoir le même naturel. Il accorde à tous les hommes "le bon sens, chose du monde la mieux partagée", mais il n'en pense pas moins que tous n'ont pas le même esprit (Ingenium), ou que tous ne savent pas faire un bon usage de la volonté. Qui peut être le sage mentionné ici ? Nous avons souligné que le texte s'élève contre l'autorité des précepteurs. On peut penser que le sage est celui qui aide ses contemporains, non pas en enseignant des vérités toutes faites, mais peut être en diffusant une méthode qui apprenne à chacun à bien conduire sa raison. La méthode cartésienne montre comment bien déduire à partir de premiers principes clairs et évidents.. "La sagesse et comme un arbre" Descartes a cru pouvoir réunir dans un enchaînement déductif tout le savoir humain, de la connaissance de Dieu(racines de l'arbre) jusqu'à la morale(branches de l'arbre) en passant par la connaissance de la nature(la physique est le tronc de l'arbre). Le "bien agir" suppose donc pour lui que tout l'édifice de la connaissance ait été construit. Descartes parle ici de "plus haut degré" auquel la connaissance puisse atteindre. La condition de la connaissance étant cependant la découverte d'une méthode adéquate. On peut aussi penser à un sage comme Socrate, qui ne prétend pas enseigner dogmatiquement. En tous les cas, il ne s'agira pas d'un tuteur, interdisant aux esprits de s'émanciper.

Descartes veut seulement inviter à se servir de son propre jugement, en toute autonomie ;