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Le Langage

Version du 1 octobre 2009 à 20:21 par Amb (Discuter | Contributions)

Sommaire

Langage, pensée, communauté

On définit souvent l’homme, comme « homo faber », fabricateur d’outils, technicien, mais on peut aussi choisir de considérer le langage comme le fait culturel par excellence C’est une partie de la culture et il est reçu par la tradition Il est le moyen par lequel nous assimilons la culture de notre groupe. (les règles) Les codes culturels peuvent tous être compris sur le modèle du langage : le monde de la culture est un monde symbolique.

Le langage peut être perçu en première analyse comme un moyen d’extérioriser sa pensée, de communiquer ses idées avec autrui. On voudrait lui donner le statut d’ « outil ou d’instrument » de communication. Or, il est beaucoup plus. Apprendre une langue c’est apprendre à abstraire, et d’une certaine manière apprendre à penser. Notre pensée est toujours verbalisée.

Si on apprend à penser dans sa langue maternelle, « on pense » avec sa société. Peut être n’y a –t-il pas de pensée universelle, mais différentes visions du monde structurées par des langues différentes ?


Le langage articulé, propre de l'homme.

Si l’on définit le langage par le fait de communiquer de l’information, alors les animaux échangent entre eux de l’information et on peut dire qu’ils ont un langage. Ex : le langage dansé des abeilles.

Mais dans le monde humain, le langage renvoie à l’aptitude humaine à créer du sens, à signifier quelque chose pour soi même et les autres.</

Distinctions préalables

Le langage animal est inné, ou d’hérédité biologique,propre à l’espèce. A une situation globale correspond un son ou un geste. Le nombre en est limité. Sons ou gestes sont comme autant de signaux qui déclenchent chez le congénère un comportement.

Le langage humain est propre à une culture, il doit être appris dans le milieu social, il est transmis par la tradition. Les linguistes nomment langue le code , culturel et conventionnel.

Il est articulé et doublement articulé, ce qui produit une combinatoire large et permet de dire un nombre illimité de situations. Nous combinons des phonèmes en mots et des mots en phrases.

(Chaque langue retient un nombre limité de phonèmes qu’elle distingue conventionnellement).

On peut parler du caractère illimité du langage humain, par opposition à la fixité et à la stéréotypie du langage animal. Cette illimitation lui permet d’être novateur.

Le langage humain est de l’ordre du symbole. Le signe linguistique est double, le son entendu renvoie à un sens qui demande à être compris dans sa dimension intellectuelle.


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Lettre de Descartes au Marquis de Newcastle et extrait du Discours de la méthode.

Les animaux traduisent les états de leur corps. Un automate, une machine peut de manière stéréotypée exprimer l’état de ses rouages. (Son mécanisme). Pour Descartes, l’animal ne fait pas plus. A tel état physique, il fait correspondre tel cri ou telle attitude (le chat hérissé.) Il communique des émotions.

Le langage humain, par un discours articulé (ou par des gestes qui s’articulent chez les sourd muets) exprime plus. Il traduit un processus de pensée qui est novateur, par lequel tout homme est capable de réagir à ce qu’on dit en sa présence.

C’est valable pour le fou. Même le fou qui délire interprète de manière novatrice, sinon pertinente la situation dans laquelle il se trouve. C’est valable pour l’homme le plus hébété et le plus stupide.

Le langage humain est une action de l’automate corporel qui ne peut pas s’expliquer par l’automate corporel lui même, car il témoigne d’une liberté créatrice. Il est incompatible avec le seul mécanisme, mais doit être référé à une âme qui pense.

Le langage humain témoigne d’une création de sens. Le langage est un mouvement du corps qui dénote la présence d’une âme et de la liberté.

Dans la Lettre au marquis de Newcastle , Descartes écrit que nous reconnaissons un homme , à ce qu’il est capable d’utiliser des signes vocaux ou gestuels, à propos des sujets qui se présentent ,( il adapte son discours , invente du sens , ce qui témoigne de sa liberté , ) sans se rapporter à aucune passion ( il ne se borne pas à exprimer , comme mécaniquement , l’état de son corps ).

Dans le Discours de la méthode, il écrit qu’on pourrait sans doute construire une machine à la ressemblance d’un singe, mais que cela n’est pas possible s’agissant d’un homme. L’automate, fait à l’imitation du corps humain, ne pourrait pas inventer des messages divers et faire preuve de créativité . «  La raison est un instrument universel.qui peut servir en toutes sortes de rencontres »

Descartes, métaphysicien, voit dans le langage humain un témoignage de la liberté de l’homme, liberté qui pour lui ne s’explique que par l’âme qui pense.


Est-ce dans les mots que nous pensons?

Vocabulaire : distinguons la langue et la parole.

La langue est le code propre à une communauté que chacun trouve tout fait dans sa société. C’est l’objet de l’étude des linguistes qui en étudient les caractéristiques et le fonctionnement. On peut dire que c'est un fait social, au sens durkheimien du terme : contraignant, coercitif. la langue s'impose à nous de l'extérieur, si nous la modifions trop, notre message ne passe plus.

La parole : c’est l’appropriation par un individu de ce code.

Le langage a ces deux aspects.

Il nous semble parfois que l'expression de notre expérience individuelle est limitée par l'aspect collectif du langage.Il nous faut comprendre pourtant que notre pensée n'existerait pas si elle n'était pas coulée dans les mots.


La langue est elle un outil ?

On fait souvent l’expérience de l’ineffable : je n’ai pas les mots pour le dire …

Je crois que mes idées sont là, mais que je ne peux pas les extérioriser. La langue semble n’être que l’instrument ou l’outil d’extériorisation et de communication de la pensée.

Au XVII ème siècle, on croit à l’existence d’une pensée universelle qui pourrait se communiquer au moyen de différents outils.

N’est – ce pas une illusion ?

De manière contemporaine, on va dire plutôt que le langage est le lieu ou la pensée se forme.

La pensée se tisse dans le langage dit Merleau-Ponty. Au moment où je combine mes mots, où je les assemble, je fais surgir du sens. Je découvre ma pensée au moment même où elle nait, dans le langage.

La pensée, entendue comme pensée abstraite, se forme dans les mots.


La langue a un rôle constituant pour la pensée .Nos mots sont des concepts.

Qu’est – ce qu’un concept ?

Un concept, c’est une idée générale abstraite, c’est le produit d’une opération intellectuelle qui isole et rassemble par la pensée quelques traits qui ne sont jamais donné séparément dans l’expérience ;

Un Arbre : végétal à tronc ligneux.

En face de moi, j’ai un petit marronnier ou un grand platane, un sapin …. Etc.


Comparons l’image au concept.

«  Essayez de vous tracer l’image d’un arbre en général, jamais vous n’en viendrez à bout, malgré vous il faudra le voir petit ou grand, rare ou touffu, clair ou foncé, et s’il dépendait de vous de n’y voir que ce qui se trouve en tout arbre, cette image ne ressemblerait plus à un arbre. Les êtres purement abstraits se voient de même, ou ne se conçoivent que par le discours. La définition seule du triangle vous en donne une véritable idée : sitôt que vous vous en figurez un dans votre esprit, c’est un tel triangle et non pas un autre, et vous ne pouvez éviter d’en rendre les lignes sensibles ou le plan coloré. Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales ; car sitôt que l’imagination s’arrête, l’esprit ne marche plus qu’à l’aide du discours"

Rousseau Discours sur l'Origine et les Fondements de l'Inégalité parmi les hommes.

NB:Rousseau forme l’hypothèse d’un homme naturel, pour mieux penser le problème politique : les inégalités sont elles naturelles ? Pour penser l’homme naturel, on enlève le lien social : on pense un homme seul.

Cet homme seul n’apprend pas à parler dans une société, il n’a que les cris de la nature. Il n’apprend pas non plus à penser des idées abstraites.

« C’est un animal stupide et borné » écrit Rousseau.

La question de l’Origine des Langues est une question qu’on ne peut trancher empiriquement. Si on essaie de la penser, c’est pour mieux comprendre, en essayant de penser la première convention que nos idées abstraites n’existent que si elles sont nommées. On peut penser à la rigueur la première convention pour un être singulier ; le geste désigne un objet visible(tel arbre , se nommera A , tel autre B ), on s’aperçoit qu’en fait tous ces arbres sont des « chênes » et que notre lexique ne comporte pas un nom pour chaque individu . Nos mots « arbre » et « chêne » nous permettent d’évoquer toute une catégorie d’individus qui pour nous ont des caractéristiques communes.

S’il s’agit de désigner « liberté » ou « Dieu », seuls les noms dont nous disposons nous permettent de les évoquer. On ne parvient plus à penser la première convention. Il fallait disposer déjà du mot pour évoquer l’idée abstraite.

"Sitôt que l'imagination s'arrête, l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours. Notre expérience sensible nous donne des êtres uniques, originaux. Tel arbre, telle feuille.

L’image reproduit un objet sensible dans sa particularité. (L’image de cet arbre là, ou de cette feuille)

L’idée d’arbre désigne une classe d’objets possédant des caractères communs.

« Les mots sont des concepts » Notre langue est le support de la pensée abstraite.

Parler nous apprend à mettre en ordre notre expérience, à l’organiser.


La pensée n’est elle pas elle alors propre à une culture?

On pourrait croire qu’il existe une pensée universelle, et que les différentes langues sont des outils pour exprimer cette pensée, le problème de la traduction consistant à faire coïncider un instrument avec un autre instrument d’expression de la manière la plus adéquate possible.

Les linguistes contemporains montrent que la langue n’est pas un simple répertoire de mots.Apprendre une langue, c’est apprendre à organiser une certaine vision du monde.

Prenons l’exemple de la vision de couleurs.

Parler telle langue plutôt que telle autre nous enseigne un certain découpage de la réalité : 2 zones colorées, ou 8 zones colorées dans l’arc en ciel.Nous disons "Je vois tant de couleurs .. " Si nous les "voyons" c'est parce que notre langue met à notre disposition des mots.L'arc en ciel, dans sa réalité physique est un phénomène continu.

Une langue n’est pas un répertoire de mots, auquel on pourrait faire correspondre un autre répertoire de mots. Une langue véhicule une certaine analyse de la réalité.

« Cette notion de langue répertoire se fonde sur l’idée simpliste que le monde entier s’ordonne antérieurement à la vision qu’en ont les hommes en catégories d’objets parfaitement distinctes, chacune recevant sa désignation dans chaque langue. »

Martinet :Eléments de linguistiques générale

Prenons l’exemple de la conception du temps chez les indiens Hopis. La langue hopi ne peut dire notre découpage du temps en passé, présent, futur. Les hopis ne peuvent compter le temps comme on compte des unités discrètes.La physique quantitative de Galilée ne se dit pas dans la langue Hopie.

« Le monde est un flux kaléidoscopique d’impressions que nous devons organiser. Nous le faisons en grande partie grâce au système linguistique que nous avons assimilé. Nous procédons à une sorte de découpage méthodique de la nature, nous l’organisons en concepts, et nous lui attribuons cette signification en vertu d’une convention qui détermine notre vision du monde." Whorf: Linguistique et Anthropologie.



Examinons quelques conséquences de ce qui vient d'être dit.

Est-il aisé d’innover?

On peut décrire un cercle pensée langage culture.

Les intérêts d’une culture la poussent à faire évoluer sa langue dans un certain sens. (Sinon il n’y aurait pas innovation). (Inflation des termes consacrés à la neige dans une culture Eskimo)

Mais la langue est une réalité sociale et donc coercitive. La langue évolue difficilement, elle freine la mobilité de la pensée. Innover, c’est penser neuf avec des mots qui sont chargés d’une vision du monde ancienne.

Exemple : Descartes et le mot âme.


Peut-on à bon droit instituer une langue universelle ? (Sujet de dissertation)

Notons le mot "instituer": c'est décider par convention. On ne parle donc pas des langues d'empire qui s'imposent par la force, comme le latin dans l'Empire romain, ou le russe dans l'ex-empire soviétique.La langue a souvent été celle des vainqueurs.

On peut essayer de créer une langue universelle par souci de faciliter la communication entre les hommes, pour lever les équivoques. En ce sens, les mathématiques en sont une.

On a pu ainsi vouloir créer de toute pièce l’Espéranto.

Imposer une langue, n'est ce pas toujours plus ou moins imposer une vision du monde et une culture?

Notre Constitution dit que le français est la langue de la République. Ce n’est pas indifférent, il est difficile de faire l’unité d’un état dans un pluralisme linguistique.

Le projet peut être parfois totalitaire : (CF La Novlangue dans 1984 qui est une fiction)

Actuellement on constate que, lié au statut de grande puissance, existe un impérialisme linguistique et donc culturel:puissance économique et technique des USA et impérialisme de l’anglais.



La diversité des langues creuse donc des écarts parfois difficiles à combler entre des communautés humaines (Cf. La tour de Babel) Mais tenter de combler les écarts en imposant une langue est aussi discutable.

Doit-on se définir par son appartenance à sa communauté culturelle ou linguistique, ou abstraitement comme un « Homme » sujet universel des Droits de l’homme ?


Notre pensée n’est elle pas prisonnière du langage ? Peut-on tout dire ?

Je vis mes expériences comme singulières, individuelles. Si les mots que j’emploie ont une valeur générale (ce sont des concepts) sont –ils aptes à dire l’originalité de mes expériences ?



« Pour tout dire, nous ne voyons pas les choses mêmes ; nous nous bornons le plus souvent à lire les étiquettes collées sur elles. Cette tendance, issue du besoin s’est encore accentuée sous l’influence du langage. Car les mots (à l’exception des noms propres) désignent tous des genres. Le mot qui ne note de la chose que sa fonction la plus commune et son aspect banal, s’insinue entre elle et nous ….

Et ce ne sont pas seulement les objets extérieurs, ce sont aussi nos propres états d’âme qui se dérobent à nous dans ce qu’ils ont d’intime, de personnel, d’originalement vécu. Quand nous éprouvons de l’amour ou de la haine, quand nous nous sentons joyeux ou tristes, est-ce bien notre sentiment lui- même qui arrive à notre conscience, avec les mille nuances et les mille résonances qui en font quelque chose d’absolument notre ? Nous serions alors tous romanciers, tous poètes, tous musiciens. Mais le plus souvent, nous n’apercevons de notre état d’âme que son déploiement extérieur. Nous ne saisissons de nos sentiments que leur aspect impersonnel, celui que le langage a pu noter une fois pour toutes. »

Bergson: Le rire

Bergson souligne l’inaptitude du langage à dire la durée, l’élan créateur de la vie qui dans sa pensée fait l’originalité de l’être humain. La langue ne saisit pas le caractère novateur de l’intuition, la diversité de la vie intérieure ; Mais si on lit bien le texte cela signifie que chacun d’entre nous est étranger à soi même. Si je pense avec des mots,alors lorsque j’essaie de dire ma propre vie intérieure, j’échoue à le faire.

Le poète le musicien ont peut être là un privilège car ils inventent un langage au plus près de leurs émotions.


Parler à: la communication et ses difficultés.

Comment dit- on ses besoins, ses passions, ses idées abstraites ?

On ne communique pas que des idées abstraites. Il nous faut dire des sentiments ou des passions Y a-t-il différentes modalités de la communication, plus ou moins propices à dire les uns ou les autres ?


Passions et langue musicale

. "Mais dans les lieux arides où l'on ne pouvait avoir de l'eau que par des puits, il fallut bien se réunir pour les creuser ou du moins s'accorder pour leur usage. Telle dut être l'origine des sociétés et des langues dans les pays chauds.

Là se formèrent les premiers liens des familles ; là furent les premiers rendez-vous des deux sexes. Les jeunes fines venaient chercher de l'eau pour le ménage, les jeunes hommes venaient abreuver leurs troupeaux. Là des yeux accoutumés aux mêmes objets dès l'enfance commencèrent d'en voir de plus doux ). Le cœur s'émut à ces nouveaux objets, un attrait inconnu le rendit moins sauvage, il sentit le plaisir de n'être pas seul. L'eau devint insensiblement plus nécessaire, le bétail eut soif plus souvent ; on arrivait en hâte et l'on partait à regret. Dans cet âge heureux où rien ne marquait les heures, rien n'obligeait à les compter ; le temps n'avait d'autre mesure que l'amusement et l'ennui. Sous de vieux chênes vainqueurs des ans une ardente jeunesse oubliait par degrés sa férocité, on s'apprivoisait peu à peu les uns avec les autres ; en s'efforçant de se faire entendre on apprit à s’expliquer. Là se firent les premières fêtes, les pieds bondissaient de joie, le geste empressé ne suffisait plus, la voix l'accompagnait d'accents passionnés, le plaisir et le désir confondus ensemble se faisaient sentir à la fois . Là fut enfin le vrai berceau des peuples, et du pur cristal des fontaines sortirent les premiers feux de l'amour ».

Rousseau:Essai sur l’Origine des Langues

Le texte décrit un moment idyllique, hors du temps et de l’histoire. Il décrit la naissance simultanée d’un langage d’abord musical et de la passion amoureuse. Le geste suffit pour dire le besoin. Pour dire la passion les hommes usent d’une langue d’abord accentuée, et non articulée qui témoigne de la présence d’une conscience à une autre conscience.

Pour Rousseau, c’est une transparence originale qui se perd un peu à la fois. Avec la langue articulée apparait la convention, la distance entre les hommes et la possibilité du mensonge.


L’écrit- l’oral.

La même question peut se reposer quant on compare la langue écrite à la langue orale. L’écrit se prête mieux à l’expression des idées. L’oral, avec les possibilités d’accentuation de la langue ne se prête –t-il pas mieux à la communication des sentiments ?

« L'écriture, qui semble devoir fixer la langue est précisément ce qui l'altère ; elle n'en change pas les mots mais le génie ; elle substitue l'exactitude à l'expression. L'on rend ses sentiment quand on parle et ses idées quand on écrit. En écrivant on est forcé de prendre tous les mots dans l'acception commune ; mais celui qui parle varie les acceptions par les tons, il les détermine comme il lui plait ; moins gêné pour être clair, il donne plus à la force, et il n’ est pas possible qu'une langue qu'on écrit garde longtemps la vivacité de celle qui n’est que parlée. On écrit les voix et non pas les sons : or dans une langue accentuée ce sont les sons, les accents, les inflexions de toute espèce qui font la plus grande énergie du langage ; et rendent une phrase, d'ailleurs commune, propre seulement au lieu où elle est. Les moyens qu'on prend pour suppléer à celui-là étendent, allongent la langue écrite, et passant des livres dans le discours énervent la parole même . En disant tout comme on l’écrirait, on ne fait plus que lire en parlant. »

L’écriture est pour Rousseau la langue de la communication à distance. Elle est plus propice à la précision du langage et à la communication des idées abstraites. Par contre, il lui est plus difficile de ne pas trahir les sentiments. Elle n’est plus la langue de la présence d’homme à homme. La langue parlée qui a des intonations et des accents, mais surtout le chant, la musique diront mieux les sentiments .

Une langue, qui comme la langue française a été depuis des siècles travaillée dans le sens de l’écriture s’est adaptée à ce type de communication, et a perdu son aptitude à dire les sentiments. Il faut tenter des figures de style pour essayer de retrouver cette aptitude.

Rousseau fait de l’écrit le moyen de l’oppression politique. Dans une démocratie vivante, le peuple est assemblé sur la place publique. C’est le règne de la présence. Quand le pouvoir s’éloigne, il donne des ordres par des « placards sur les murs ». Il n’y a plus échange dialogue.



Le langage me confère-t-il un pouvoir sur l’autre ?

On peut tenter de comprendre les mécanismes du langage et ses rapports avec la pensée, mais on ne saurait omettre le fait que le langage est destiné à agir. Il existe des fonctions du langage qui ne sont pas strictement intellectuelles. Quand nous parlons, nous faisons autre chose qu’énoncer des idées ou développer un récit, notre parole est une manière pour nous d’exercer les uns sur les autres une influence, un pouvoir qui s’apparente plutôt à l’action qu’à la réflexion.


Les mots peuvent –ils agir ? L’aspect performatif du langage.

Dans la bouche d’un président de séance, « La séance est ouverte » est un acte, alors que «  la fenêtre est ouverte » est une constatation.

Une énonciation performative est une parole en même temps qu’un acte

Ce qui est important, ce n’est pas qu’il y a des paroles qui produisent des actions (l’impératif le fait aussi bien) mais qu’il y ait des actions qui puissent être des paroles. Or ces actions sont essentielles dans le domaine moral, juridique, politique (actions d’autorité, contrats, engagements.)

« En prononçant ses paroles, nous faisons une chose (nous nous marions) plutôt que nous rendons compte d’une chose (que nous nous marions) » Austin. « Quand dire, c’est faire. »

C’est une convention sociale qui fait que l’emploi de certaines formules va lier celui qui l’a énoncée : L’acte de promettre engage celui qui l’accomplit. Il se crée une obligation.

Les énoncés performatifs ne sont pas vrais ou faux, mais soumis au succès ou à l’échec.


Exemples

La Déclaration des Droits de l’homme On voit que le langage est un instrument de production et de consolidation du lien social.

Extrait du 2ème Discours : « Le premier qui a enclos un champ et a dit «  Ce champ est à moi » »

Rousseau montre qu’il y a là institution d’un ordre, celui de la propriété, et institution d’un temps, celui de l’histoire et des malheurs de l’homme.Le texte montre la relation perverse qu’on peut entretenir avec le langage lorsqu’il est utilisé comme puissance. On est dans l’ordre de la domination sociale. Le pouvoir a toujours besoin de parole : on est pris dans un discours de légitimation. Le discours assume la transformation de la force en droit.Mais c’est possible parce que nous croyons à la réalité de ce qu’il nous présente. Nous sommes renvoyés à notre crédulité sans laquelle aucune imposture n’est possible. L’efficacité du langage comme langage de pouvoir suppose notre collaboration.


Sujet de dissertation : prendre la parole, est-ce prendre le pouvoir ?



Le langage n’est il pas un instrument de domination ?

Place de la rhétorique dans la cité grecque : les sophistes éducateurs

Les sophistes sont des intellectuels itinérants, éducateurs très prisés et très bien rémunérés. Ils enseignent entre autre un art du discours, la rhétorique.

PROTAGORAS d’Abdère, HIPPIAS D’Elis, GORGIAS de Léontium, THRASYMAQUE de Calcédoine

Les sophistes promettent un résultat pratique. Ils veulent former des gens capables de prendre part aux délibérations publiques et de se défendre devant les tribunaux. (visée utilitaire). Gorgias dit qu’il n’y a pas de plus grand bien pour l’homme que de persuader les autres dans n’importe quelle réunion de citoyen. (Gorgias 452d).

Il s’agit d’avoir de la puissance : il n’y a pas de visée de vérité.

Justification théorique :

Pourquoi développer ainsi un art du discours non soucieux de vérité ?

«  L’homme est la mesure de toutes choses »

Socrate interrogeant Gorgias sur son art attend une définition de la rhétorique. (Notez l’emploi du mot art : technique visant une utilité, et non savoir)

Gorgias répond par un jugement de valeur. « Ce sont les plus grandes des affaires humaines »

Socrate lui fait observer que tout homme de l’art affirmerait que l’objet de son art est le plus grand des biens.

La rhétorique est présentée par Gorgias comme un technique maîtresse capable de supplanter toutes les autres, mais ceci devant les assemblées populaires, c’est à dire, non pas devant l’homme de l’art, mais devant les ignorants.

Socrate veut, en donnant la parole à Gorgias nous faire saisir le danger de la rhétorique. C’est un art de l’illusion, un ignorant fait illusion, mais devant des ignorants. Socrate veut nous faire comprendre qu’il ne peut pas y avoir un bon usage de la rhétorique. Question : « L’illusion peut elle être bonne ? »

Le dialogue socratique :

Dialogue et vérité :

Socrate tente de dépasser l’opinion en en montrant le peu de fondement.

Il ne s’agit plus de jouer sur les opinions dans une perspective de puissance, mais bien de dévoiler les insuffisances de l’opinion pour susciter un mouvement de réflexion et tourner les âmes vers la vérité.

Le dialogue socratique met ainsi en évidence la nature de l’opinion.

L’opinion montre son peu de consistance. Toutes se valent : elles ne valent rien.

Socrate tente de mettre ses interlocuteurs en contradiction avec eux-mêmes et en contradiction les uns avec les autres pour les déstabiliser et pour leur montrer qu’ils n’ont jamais vraiment tenté de fonder leur jugement.

Le dialogue est le lieu de la confrontation des opinions. Chacun croyait détenir un savoir sûr et au contact de l’interrogation socratique se découvre ignorant. La quête de la vérité reste à faire

«  L’image que je me fais de l’âme en train de penser n’est rien d’autre qu’un entretien dans laquelle elle se pose à elle-même des questions et se fait à elle-même des réponses, soit qu’elle affirme, soit au contraire qu’elle nie. » (Théétète Platon )

L’art d’argumenter des sophistes n’est pas inutile s’il est utilisé, non à des fins de puissance, mais à des fins d’éclaircissement. Il faut rendre raison de ce qu’on avance, justifier sa position devant tout être raisonnable. Mais il faut utiliser le travail fait sur le discours à des fins de vérité.

Le dialogue n’est pas un échange de savoir : la maïeutique socratique

Socrate n’enseigne pas dogmatiquement. Il se présente comme celui qui a pris conscience de son ignorance et attend de l’autre qu’il lui fasse partager son savoir. Son «non–savoir » démasque l’ignorance de l’autre. Mais chacun doit faire par lui -même le travail de réflexion qui le mènera peut – être au savoir. Le dialogue est différent de ce que l’on appelle enseignement. Socrate ne se fait pas payer. L’échange d’argent serait un échange de savoir.

Dialogue et communauté humaine. Les bienfaits de la réfutation

Réfuter, c’est faire que la personne renonce à ce qu’elle croyait, sans être atteinte dans sa personne. Réfuter, c’est supposer en l’autre la même raison qu’en soi. Postulation d’une raison commune, on pense en commun.(Mais penser en commun, ce n’est pas la même chose que partager sans critique la même opinion.) Dans la réfutation, on prend conscience de la fausseté de ce qu’on prétendait vrai