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Éléments de Philosophie

Version du 10 octobre 2009 à 20:18 par Amb (Discuter | Contributions)
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"L'homme est obscur à lui-même' ; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensées en nous sinon par l'unique sujet, Je3, cette remarque est d'ordre moral. Il ne faut point se dire qu'en rêvant on se met à penser. II faut savoir que la pensée volontaire : « Tu l'as bien voulu »

On dissoudrait ces fantômes en se disant simplement que tout ce qui n'est point pensée est mécanisme, ou encore mieux, que ce qui n'est point pensée est corps, c'est-à-dire chose soumise à ma volonté ; chose dont je réponds. Tel est le principe du scrupule. [...] L'inconscient est donc une manière de donner dignité à son propre corps ; de le traiter comme un semblable ; comme un esclave reçu en héritage et dont il faut s'arranger. L'inconscient est une méprise sur le Moi, c'est une idolâtrie du corps. On a peur de son inconscient ; là se trouve logée la faute capitale. Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. L'hérédité est un fantôme du même genre. « Voilà mon père qui se réveille ; voilà celui qui me conduit. Je suis par lui possédé. » [...]

En somme, il n'y a pas d'inconvénient à employer couramment le terme d'inconscient ; c'est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l'erreur ; et, bien pis, c'est une faute. "

Eléments de Philosophie: Alain



Analyse du texte


Alain fait une concession à ses adversaires, il admet l’utilisation du terme inconscient, et l’affirmation d’une méconnaissance de soi. Il va seulement changer le sens donné au terme « inconscient ».

Sa présentation de la psychanalyse est peut être caricaturale. Pour lui, elle admet à côté du « Moi » sujet conscient et volontaire un « autre Moi ». On reconnait l’idée freudienne d’un psychisme scindé. Freud admet effectivement qu’à l’intérieur de notre psychisme puissent exister des contenus refoulés auxquels nous n’avons plus accès volontairement. Il a écrit « le moi n’est pas maître dans sa propre maison » parce qu’il admet que dans certains cas le sujet est déterminé à agir par des pulsions dont il ignore la présence en lui. Ce n’est donc pas alors un Moi conscient et volontaire qui agit (exemple la kleptomanie). Freud aurait il admis l’expression « diabolique conseiller »? Non sans doute, puisqu’on n’est plus pour lui justement dans le champ de la responsabilité morale, on ne peut pas faire le mal, si on ne le fait pas par conscience.

L’expression « contre quoi » articule le texte et introduit la critique. Contre Freud Alain retrouve des accents cartésiens. « Il n’y a point de pensée en nous sinon par l’unique sujet « Je ». Il réaffirme que la pensée est consciente de part en part, il n’y a pas de zone obscure et incontrôlable à l’intérieur de notre vie psychique : le doute, la suspension du jugement peuvent toujours nous permettre de nous ré-approprier les contenus de notre vie psychique. Se définir comme substance spirituelle signifie être entendement et volonté ou libre arbitre, ce que réaffirme Alain. « La pensée est volontaire ».

Que devient l’idée d’inconscient ? Si la conscience est claire de part en part, ce que l’homme connait mal en lui, c’est la machine, le corps. On peut dire qu’il y a un inconscient organique. Mais Alain affirme qu’on doit pouvoir contrôler les manifestations de ce corps. Le corps est « choses dont je réponds » Traduisons : si des instincts se manifestent en moi, je suis peut être incapable d’empêcher leur manifestation, mais je puis ne pas y consentir et là est ma responsabilité. Si je réponds à une agression par la colère, la colère me fait lever la main, mais je puis me retenir de frapper (Descartes)

Alain refuse donc le droit à l’homme d’invoquer le corps et les instincts pour dire qu’il n’est pas responsable de ces actes. Il ne faut pas « donner de la dignité à son propre corps » en disant que notre volonté ne peut rien contre la machine.

Il illustre sa position en invoquant l’hérédité. C’est être de mauvaise foi que de dire par exemple : « j’ai le caractère de mon père » et de ce servir de cela comme excuse pour dire que l’on n’est pas responsable de ses emportements ou de sa nonchalance.

La vision psychanalytique de l’homme est donc plus qu’une erreur intellectuelle. Alain préfère la qualifier de « faute » en utilisant ce mot emprunté au registre moral pour dire que si l’on admet la vision freudienne de l’homme on ôte à l’homme les éléments essentiels de sa vie morale.

Cette présentation de la thèse psychanalytique et de ses conséquences est-elle légitime ? Freud

invitait chacun à reconquérir une vie morale en œuvrant pour se connaître soi –même.

Dans l’affirmation que l’inconscient ne peut être qu’organique, on pourrait reconnaître la préfiguration de certains thèses médicales hostiles a Freud : les troubles du comportement sont des défaillances de la machine. Jusqu’à quel point est-il légitime de dire que notre volonté peut contrôler notre corps ? Ne faut-il pas à un certain moment reconnaitre le désordre organique et la maladie ?