Pourquoi obéir aux lois?
Introduction
Nous considérerons ici les lois comme les règles émanant d’un pouvoir politique et régissant l’activité d’une société . Tout pouvoir pose des lois(lois positives) pour qu’elles soient obéies, sinon l’ordre politique se détruirait lui même .Mais les pouvoirs politiques sont de différentes sortes et l'obéissance à la loi ne se justifie pas de la même manière dans un régime despotique ou dans une république. Ici,il s'agit de s'interroger pour répondre à la question pourquoi sur les raisons ou les mobiles de l'obéissance aux lois et il nous faudra différencier les régimes politiques. Il nous arrive souvent de désobéir à la loi poussés par des passions, par l'intérêt particulier. Peut- on trouver des raisons, c’est à dire des justifications valables , sages et pleines de bon sens au fait de désobéir à la loi ? La révolte ou la résistance ne sont - elles pas toujours condamnables , peut- on leur trouver une certaine légitimité, et au regard de quels principes ? Peut- on envisager de dire que parfois, mieux vaut désobéir aux lois que leur obéir?
Ne faut- il pas distinguer deux sortes de lois et deux sortes d'obéissance ?
Les lois positives définissent un ordre légal .Mais il semble qu’on ne puisse parler de la loi en général . Il faut faire des distinctions selon la nature de la loi.
Il peut arriver, comme dans le cas d’un régime despotique que ces lois n’incarnent qu’un rapport de force ; (ce qu’on nomme ironiquement le droit du plus fort). Pour rester en vie, il faut obéir, aucun choix n’est véritablement offert . C’est la situations dans laquelle on se trouve face à toute tyrannie .Il y a donc un mobilee fort à l'obéissance, c'est la crainte de la mort.
Les lois peuvent –être celles d’un pouvoir qu’on reconnaît comme légitime.Les théoriciens du Contrat social décrivent des pouvoirs auxquels on donne son consentement.On abandonne sa liberté naturelle d'indépendance et on accepte d'obéir aux lois, parce qu'on gagne quelque chose en échange.On peut gagner, comme le veut le contrat du Léviathan de Hobbes, la paix civile et la sécurité de sa personne, un contexte d'ordre nécessaire aux affaires. On obéit ainsi aux lois parce qu'on y a tous intérêt pour rester en vie. La désobeissance ramène un état de guerre comparable à l'état de nature.Le Léviathan est le représentant de la multitude qu'il protège. Les lois qu'il pose sont les lois utiles à tous et qu'il a en fait voulues. La désobeissance revient de soi, au moment où le pouvoir politique ne peut plus protéger les contractants.
Rousseau pense qu'on peut attendre davantage du contrat . Ainsi décrit-il dans le Contrat Social l’obéissance au pouvoir républicain, seul légitime parce qu'il assure plus que la sécurité, il respecte la liberté attachée à l’essence de l’homme. La loi républicaine émane de la souveraineté populaire , elle vise le bien commun au lieu d’être somme d’intérêts particuliers. Obéir à la loi n’est pas se soumettre à un rapport de force mais sauvegarder sa propre liberté . La désobéissance paraît déraisonnable . Elle est plutôt le fait de celui qui veut faire passer en avant son intérêt particulier, qui est donc poussé par des passions égoïstes . Elle réintroduirait dans l’état des rapports de force que la soumission à la loi élimine . Elle serait nuisible en résumé à la liberté
Rousseau attend de plus de la loi une transformation morale de l'homme. Pourquoi obéir à la loi? Parce qu'elle nous enseigne à maitriser nos propres passions: "L'impulsion du seul appétit est esclavage, l'obéissance à la loi qu'on s'est prescrite est liberté."L'obéissance nous entraine donc dans la voie de la moralité.
En résumé, il semble qu’ou bien la raison nous dicte d’obéir pour rester en vie, ou bien qu’elle exige de nous l’obéissance par obligation morale .Faut-il rester enfermé dans une telle alternative ?
En réalité, on ne se trouve jamais devant des lois idéales , la « volonté générale » n’est peut être jamais vraiment dégagée, et les leçons de l’histoire montrent que la désobéissance a parfois eu raison de pouvoirs tyranniques .
La désobéissance paraît s’imposer à la conscience qui juge que la loi est injuste
Pouvons nous être tenus d’obéir aux lois que nous jugeons en désaccord avec notre conscience ? La Déclaration des Droits de l’homme présente des valeurs d’un ordre moral universel , un droit naturel qui sert de référence pour juger le droit positif. « les actes du pouvoir exécutif et ceux du pouvoir législatif pouvant être comparés à chaque instant avec le but de toute institution politique. » dit le préambule . L’obéissance aux lois est un devoir, mais comme tous les devoirs ce n’est pas un devoir absolu, c’est un devoir relatif , la conscience peut s’ériger en juge de la loi . « Aucun devoir ne nous lierait envers des lois qui non seulement restreindraient nos libertés légitimes et s’opposeraient à des actions qu’elles n’auraient pas le droit d’interdire, mais qui nous en commanderaient de contraires aux principes éternels de justice et de pitié que l’homme ne peut cesser d’observer sans démentir sa nature » B. Constant . Il arrive qu’une loi franchisse les bornes du respect des droits de l’homme ou ne respecte pas la liberté d’opinion . Sophocle faisait dire à Antigone : « Les défenses de l’état ne sauraient passer outre aux lois non écrites » . Antigone opposait le droit des morts (lois religieuses) au droit des vivants (lois de l’état) . Spinoza écrit au 17ème siècle, que lorsque des pouvoirs politiques prennent des lois contre les libertés d’opinion, et particulièrement les opinions religieuses , les âmes les plus nobles ne peuvent s’y soumettre et préfèrent le martyre, montrant ainsi l’exemple de la sédition . (Il pense aux conversions forcées des juifs en Espagne et au Portugal.) Une loi n’est pas une loi, écrit B. Constant, quand elle prescrit des actions contraires à la morale(c’est à dire aux principes éternels d’une morale universelle) . « Toute loi qui ordonne la délation, la dénonciation n’est pas un loi, toute loi qui commande de refuser refuge à quiconque demande asile n’est pas une loi » La loi ne doit pas interdire la fidélité aux amis malheureux, la perfidie envers les alliés, la persécution envers les vaincus. « Anathème et désobéissance à la rédaction d’injustice et de crimes décorée du nom de lois. » (Constant 1806 ) On peut parler ainsi de lois scélérates à propos des lois anti-juives de l’Etat Français , et beaucoup , même sous un régime d’occupation se sont élevés contre de telles lois. En février 1997, les lois Debré demandaient de faire enregistrer l’étranger qu’on accueille chez soi. Elles se heurtaient au principe universel d’hospitalité, qui veut que chaque homme soit citoyen du monde et soit accueilli (à condition qu’il ne vienne pas en colonisateur) .La France a connu à cette époque un mouvement de désobéissance civile. On peut donc raisonner, avec Constant, au nom d’un courant de pensée libérale qui veut que chaque homme possède un territoire , sa conscience morale , sur le quel le pouvoir, même s’il vient du peuple n’a pas accès.
Le libre exercice de la raison veut donc que l’on porte un jugement sur le pouvoir établi, et qu’on refuse d’obéir sans discernement aux lois .
La désobéissance à la loi risque cependant toujours d’engendrer des désordres. Ne peut- on concilier protestation pour faire évoluer la loi et obéissance?
Face à un pouvoir despotique, il y a peu de chemin pour faire triompher plus de justice. La Déclaration des Droits de l’Homme, invoque le « droit de résistance à l’oppression » , mais ce droit est souvent lettre morte et peu capable de se faire entendre, sauf à renverser véritablement en sa faveur le rapport de force, ce qui se produit dans un mouvement révolutionnaire. Beaucoup font remarquer que la présence d’un tel droit dans la Déclaration des Droits de 1789, est plutôt une justification rétrospective de la révolution.
Le problème de l’évolution de la loi dans les démocraties est peut-être différent .
Kant, dans « Qu’est ce que les Lumières ? » considère que toute désobéissance est dangereuse pour la liberté de penser. Elle risque d’engendrer des désordres nuisibles. Il préfère dire qu’il faut obéir au pouvoir établi, tout en faisant circuler des idées, le débat d’opinion étant essentiel pour obtenir que la loi se réforme elle même. Ces instances existent dans une démocratie. Et il semble effectivement qu’à la désobéissance, il faille préférer l’utilisation des organes d’opinion, du débat public, de la voie parlementaire pour modifier la loi. Kant avait foi au despotisme éclairé de Frédéric II de Prusse, mais on voit mal un despote, fut –il éclairé, admettre les courants de pensée qui viseraient par exemple, à introduire dans ses états la République.
Il arrive aussi que les démocraties soient sourdes . Rawls, fait ainsi dans « Théorie de la Justice » la théorie de la désobéissance civile . (acte public et non violent accompli pour obliger le gouvernement à modifier sa loi, ou à changer de politique.)
En cas d’injustice majeure, on peut y recourir . (Quand sont violés les principes de la liberté égale pour tous, de l’égalité des chances , quand le droit de vote est refusé à une minorité, ou le droit d’accéder à une fonction publique, ou quand il y a répression de certains groupes religieux ). Il importe donc de faire la différence entre la désobéissance violente ( la révolte, ou la révolution ) et la désobéissance non violente . On peut se référer à ce propos aux mouvements pour la conquête des droits civiques aux USA .
Conclusion : la raison peut donc parfois inviter à la désobéissance pour plus de justice , mais aussi à choisir entre les voies possibles de la désobéissance .
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Il resterait à envisager un dernier cas où le pb de la désobéissance risque de se poser
Même si la loi vise le bien de la communauté, la loi est toujours générale, et le législateur n’a pas pu prendre en compte tous les cas particuliers. Il n’a pu viser que les cas les plus fréquents. Dans un cas particulier, il faut réinventer, il faut retrouver ce que le législateur aurait dit s’il avait connu le cas en question. L’obéissance à la loi peut avoir une conséquence catastrophique .
« L’équitable est un correctif de la loi, la où la loi a manqué de statuer à cause de sa généralité. (Ethique à Nicomaque V XIV)
« L’équitable, tout en étant juste, n’est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale » (Ethique à nico V XIV)
Il faut parfois désobéir à la lettre de la loi, pour retrouver son esprit .
Si le législateur a dit qu’il fallait pour la sauvegarde de la cité fermer les portes de la ville, et si des personnes utiles à la sauvegarde de la cité sont à l’extérieur, alors, dans ce cas particulier, il faut ouvrir à nouveau les portes. (ST Thomas) esprit de la loi: sauvegarder la cité, faire ce qu’il faut pour son bien .