La Réflexion Politique
(Différences entre les versions) (→Faut-il considérer les échanges économiques comme également fondamentaux ? le fait social est-il originairement économique ?) |
(→Faut-il considérer les échanges économiques comme également fondamentaux ? le fait social est-il originairement économique ?) |
||
Ligne 75 : | Ligne 75 : | ||
Nous comprenons que Smith n’attendra de la loi que la création d’un contexte d’ordre propice aux échanges économiques. Nous sommes là dans la perspective du libéralisme. Dans notre parcours de la société à la société politique, il importera de se demander ce que nous attendons de la loi et de l’ordre politique. | Nous comprenons que Smith n’attendra de la loi que la création d’un contexte d’ordre propice aux échanges économiques. Nous sommes là dans la perspective du libéralisme. Dans notre parcours de la société à la société politique, il importera de se demander ce que nous attendons de la loi et de l’ordre politique. | ||
- | |||
- | |||
Version du 2 décembre 2008 à 21:35
résumé
DE LA SOCIETE A LA SOCIETE POLITIQUE
(Notions : Société, Etat, droit, Justice, liberté, autrui)
Le fait social
Nous dirons "fait social" , au sens de « donnée de l’expérience ». On peut spéculer sur l’idée d’un homme seul (ce que fait Rousseau dans le Second Discours », mais l’homme dans l’expérience historique vit toujours en société) Il importe de se demander ce qui relie les hommes à l’intérieur de la société, ce qui secrète du lien social.
L’homme se rencontre toujours en société
(voir cours sur la culture)
Qu’est ce qu’une société? « La société, c’est une organisation complexe d’individus, fondé à la fois sur la compétition et la solidarité et comprenant un système de communication » E Morin « Un ensemble organisé d’individus ayant des relations déterminées et unis par des services réciproques » Cette définition convient aussi aux sociétés animales. L a société est un fait répandu dans la nature.
Attention : Robinson est seul, mais la société est présente en lui. (Il a une Bible des outils.)
Sur quoi repose le lien social ?
Une société est fondée sur des échanges :
Quand nous pensons échanges, nous pensons à la forme la plus commune pour nous des échanges, l’échange marchand. L’échange marchand est l’effectuation d’un contrat (tacite ou non) dans lequel un bien ou un service (utile) est vendu et donc acheté par l’intermédiaire d’un signe monétaire. On peut aussi penser au troc. Or certains échanges sont des échanges symboliques, ils visent à établir un lien de reconnaissance entre les membres d’un groupe, à honorer, à introduire l’autre parmi ses pairs et non à accumuler des biens. (Pensons à la politesse) . Il faut élargir la notion d’échanges.
Choisissons de mettre en évidence quelques types d' échanges, fondamentaux pour la vie sociale.
Les ethnologues (Lévi Strauss) affirment que toutes les sociétés font circuler les femmes : exogamie
Toutes les sociétés ont une même règle (alors que jamais une règle n’est universelle) : la prohibition de l’inceste, c'est-à-dire l’interdiction du mariage avec la personne proche. (La définition de la proximité varie de société en société). Il s’agit de constituer des alliances entre les cellules familiales biologiquement définies ; « L’échange a une valeur sociale : il fournit le moyen de lier les hommes entre eux et de superposer aux liens de parenté des liens désormais artificiels, des alliances régies par des règles »
Structures élémentaires de la parenté Levi- Strauss. NB : l’échange suppose l’échange, pour échanger, il faut un minimum de confiance, une entente, aussi éphémère soit elle.
On peut rappeler le caractère essentiel des échanges linguistiques
(Voir cours sur le langage)
Faut-il considérer les échanges économiques comme également fondamentaux ? le fait social est-il originairement économique ?
(oikos : la maison)
Lorsqu’il pense la construction de la cité dans La République, Platon la fait découler du besoin : « C’est l’impuissance où chaque homme se trouve de se suffire à lui-même et le besoin qu’il a d’une foule de choses qui est à l’origine de la cité »
La cité, il faut le noter ayant une fin plus haute que la seule satisfaction des besoins.
Les modernes ( Dix huitième siècle) comme Smith, insistent sur le rôle que joue le besoin pour réunir les hommes. Tout acte humain, pour Adam Smith est motivé par l’intérêt individuel. Cet intérêt individuel bien compris suffit à construire toutes les relations sociales. Les hommes ont des besoins et échangent pour satisfaire leurs besoins, mais Smith ajoute qu’il existe en tous les hommes un penchant naturel, une « propension à échanger »
Les hommes ont conscience de ne pas être auto- suffisant, alors que les animaux se suffisent bien plus facilement à eux-mêmes. Les hommes ont besoin de la société, du secours de leurs semblables, mais ils ne peuvent rien attendre de la bienveillance d’autrui. Smith associe deux thèmes :
-le besoin inéluctable que nous avons de l’autre
-l'affirmation de l’égoïsme individuel.
(Dans ses ouvrages moraux Smith parle d’une sympathie de l’homme pour l’homme – dans ses ouvrages économiques, il insiste sur l’égoïsme) Il n’y a pas de bienveillance du boulanger, mais celui-ci veillant à son interêt bien compris fera du bon pain qu’il vendra à un prix convenable.
Le texte est célèbre : « L’homme a presque continuellement besoin du secours de ses semblables, et c’est en vain qu’il l’attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir s’il s’adresse à leur intérêt personnel ….. Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme » Adam Smith - Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations
Thème de la main invisible : du concours des égoïsmes nait une prospérité commune. Pour Smith, la solidarité se réalise elle-même dans les échanges incessants, sans qu’il soit dans les intentions conscientes des individus de la rechercher comme telle, sans qu’ils soient guidés par des valeurs morales.
Remarques:
On voit apparaître dans ce texte de Smith, une idée qui sera très riche de développements : le mal moral ( immoralité des passions ) peut engendrer un bien commun.
Smith insiste sur l’idée d’une auto- régulation de l’économie. La question est importante, l’enjeu est celui du rôle du politique. Quel besoin les hommes auront-ils de la loi et de l’ordre politique ?
Nous comprenons que Smith n’attendra de la loi que la création d’un contexte d’ordre propice aux échanges économiques. Nous sommes là dans la perspective du libéralisme. Dans notre parcours de la société à la société politique, il importera de se demander ce que nous attendons de la loi et de l’ordre politique.
En marge de l'analyse de Smith - Approche sommaire d'un extrait de "Propos sur les Pouvoirs" d'Alain
Nous recevons beaucoup de la société
Cela ne signifie pas que nous soyons naturellement sociables
Nous devons à la société les conditions de notre survie (satisfaction des besoins) Nous lui devons notre langage, les conditions de notre développement intellectuel. En société les hommes s’éduquent, reçoivent des croyances et des valeurs. Cela ne signifie pas que nous soyons naturellement sociables, c'est-à-dire faits pour vivre en société, poussés par une impulsion naturelle à vivre en société.
Etre sociable, c’est avoir conscience d’une identité de nature nous unissant aux autres hommes, être animé par une bienveillance naturelle nous poussant vers eux, uniquement parce qu’ils sont nos semblables.
Etre sociable, c’est aussi, si nous lisons La Rochefoucauld « un ménagement réciproque d’intérêts, (…) Un commerce où l’amour propre a toujours quelque chose à gagner » Cette sociabilité là serait d’avantage basée sur le calcul.
Question : La Sociabilité est- elle naturelle?
Il faut faire la différence entre, être poussé vers l’autre par sa nature, par un élan non réfléchi, non raisonné, et choisir de vivre en société au terme d’un calcul qui peut être un calcul d’intérêt. Il faut rendre compte du fait que, si nous vivons en société, nous y vivions parfois si mal. Les sociétés sont traversées par des rapports de violence et de domination.
Question sous-jacente : qu’est-ce qui génère du lien social, qu’est ce qui assure la cohésion d’un groupe?
Nous avons mentionné l’importance des échanges pour générer du lien social. Si le lien social peut se fonder en nature, il en retire de la solidité. Si le lien social est conquis sur une nature « asociale » ou « hostile à la société », il est beaucoup plus fragile.
Comment aborder la question de la sociabilité ? Penser un état de nature peut nous aider à penser l’apport de la société et les fondements du lien social.
Rappel : la nature de l’homme a été remodelée par la société. L’expérience ne nous livre que de manière tout à fait indirecte cette nature. Nous entrons dans un domaine entièrement spéculatif, mais en paraphrasant Rousseau, nous pouvons dire que cette spéculation est essentielle pour penser ultérieurement la question politique. Rousseau utilise dans le Deuxième Discours, l’image de la statue du Dieu marin Glaucos qui a séjourné au fond de l’eau et dont les traits ont été altérés par des dépôts. (Image reprise du livre X de la République de Platon) Ces spéculations nous livrent sur la sociabilité de l’homme des discours contradictoires : L’enjeu est toujours indirectement : quelle conception se fait on du politique et qu’attend –on de la société politique ?
Exemples :
La démarche de Rousseau dans le Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes ;
« Car ce n'est pas une légère entreprise de démêler ce qu'il y a d'originaire et d'artificiel dans la nature actuelle de l'homme, et de bien connaître un état qui n'existe plus, qui n'a peut-être point existé, qui probablement n'existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d'avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent. »
Rousseau est celui qui exprime le plus clairement le caractère hypothétique de sa réflexion sur la nature de l’homme ; c’est une conjecture. On enlève à l’homme l’apport de la société : l’homme naturel vit seul, il ne parle pas de pense pas.
« Laissant donc tous les livres scientifiques qui ne nous apprennent qu'à voir les hommes tels qu'ils se sont faits, et méditant sur les premières et plus simples opérations de l'âme humaine, j'y crois apercevoir deux principes antérieurs à la raison, dont l'un nous intéresse ardemment à notre bien-être et à la conservation de nous-mêmes, et l'autre nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables. C'est du concours et de la combinaison que notre esprit est en état de faire de ces deux principes, sans qu'il soit nécessaire d'y f aire entrer celui de la sociabilité, que me paraissent découler toutes les règles du droit naturel. » Préface
L’homme n’est pas sociable, mais fait pour le devenir. L’homme naturel, animal stupide et borné est doté d’instincts : amour de soi, pitié, mais il est aussi perfectible ce qui le sépare des animaux.Seule la vie en société accomplit cette perfectibilité. (Il parle, donc il pense) Rousseau décrit un « âge des cabanes rustiques » qui est une société heureuse : les hommes vivent en autarcie. Les techniques : métallurgie et agriculture font naître les échanges de biens, les échanges engendrent, lorsqu’ils se pervertissent des rapports d’esclavage et de domination. Rousseau ne dit jamais que la vie en société en général corrompt : il y a une dérive possible de la vie en société On pourra faire de bonnes lois et redonner à la vie en société son sens. NB : Ne jamais résumer Rousseau à « L’homme est naturellement bon, la société le corrompt »
Kant propose une analyse toute différente : contre Rousseau, il décrit en l’homme une « insociable sociabilité » - « Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique » Proposition 4 (1784)
Kant s’appuie sur une lecture de l’histoire : l’histoire est le lieu des passions et des conflits engendrés par les passions : ambition, cupidité, instinct de domination.
Cupidité : désir immodéré de l’argent et des richesses ;
Passion : pâtir, subir, souffrir mais ici avec un aspect positif d' impulsion à l’action.
Les hommes sont sociables, ils recherchent la compagnie de l’homme parce qu’ils savent qu’ils y gagneront le développement de leurs facultés.
Dès qu’ils sont en société, leurs passions les poussent à lutter contre les autres qui leur opposent la même réaction. La vie en société est au départ nécessairement conflictuelle, mais Kant veut montrer que dans ces conflits se trouve le moteur du progrès humain. (Pensez à la main invisible de Smith) Le mal moral peut être dans l’histoire un facteur de progrès. Les rivalités deviennent insupportables : les hommes contraints et forcés se donneront des lois. Kant réfléchit ainsi à la naissance de l’ordre politique.
Ces exemples nous montrent que la question de la sociabilité naturelle de l’homme est une question épineuse. Les penseurs qui font cette démarche la croient cependant utile pour penser la vie en société. Qu’est ce qui peut réunir les hommes en société ?Qu’est ce qui consolide ou au contraire rend fragiles les sociétés ?
.
_____________________________________________________________________________
De la societe à la societe politique
Société se dit au pluriel. Quand va-t-on parler de sociétés politique?
- Il existe de multiples sociétés ou de multiples associations dont nous faisons partie. « Par organisation, j’entends un nombre quelconque d’hommes réunis par le soin d’un même intérêt ou d’un même genre d’affaires » (Hobbes : Le Léviathan chap. XXII P.237) Ces intérêts peuvent être familiaux, claniques. La société de brigands a pour but la rapine une équipe de football a pour but, la victoire Une Eglise regroupe des hommes pour honorer leur Dieu.
- Quand parle-t-on de société politique?
Les sociétés dont on vient de parler sont des sociétés subordonnées. Dans ces multiples sociétés existent des relations de pouvoir : Le pouvoir, c’est la capacité qu’a un individu d’obtenir d’un autre un comportement qu’il n’aurait pas adopté spontanément. Elles dépendent d’un ordre qui les protège et qui leur impose une régulation. Elles reçoivent leurs règles d’un pouvoir qui les domine. EX : La politique que poursuit une équipe de football pour la victoire n’était pas indépendante des lois françaises : on n’a pas le droit de truquer un match. Un père de famille ne peut priver ses enfants d'instruction : il n'est pas totalement mître des décisions qu'il prend pour sa famille. Ces sociétés subordonnées peuvent se donner leurs règles et leurs buts, mais pas de manière complètement indépendante.
Les sociétés politiques ont un pouvoir suprême, unique source du droit et élément qui donne sa cohésion à la structure sociale. (Il pose des règles que toutes les sociétés subordonnées devront suivre.) Le pouvoir souverain est celui qui est au dessus des autres.(Souverain, de Super , Au-dessus). La souveraineté politique désigne un pouvoir pouvant se déterminer absolument par lui-même. Absolument c'est à dire sans être lié par un autre pouvoir. Il est indépendant (non lié juridiquement). C’est un pouvoir ultime qui n’émane pas d’un pouvoir supérieur. La marque de la souveraineté, c’est donner et casser des lois. (Lois commandements qui s’imposent aux hommes dans leurs relations mutuelles.) Dans notre culture émerge un peu à la fois cette idée de souveraineté et de pouvoir souverain. Nous l’appelons état.
« République est le droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine. » Bodin :Les 6 Livres de la République. (Chapitre 1 et 2)
On reconnaît la société politique à 2 attributs
L’existence d’un pouvoir souverain.
Le consentement au droit.
"Une République est l’affaire du peuple, toutefois un peuple n’est pas n’importe qu’elle association d’individus, groupés de n’importe qu’elle façon, mais une association de nombreux êtres humains réunis en société par l’acquiescement au droit et la communauté des intérêts" Cicéron : République I
Dans une société politique, les actions des hommes sont réglées par le droit
Le pouvoir politique est celui qui imprime au groupe tout entier une impulsion, ce qui suppose une représentation de son but
Questions : Quelles fins assigner aux sociétés politiques? Excellence du citoyen? Ordre ? Coexistence des libertés?
Nous avons plus haut évoqué la conception d'Adam Smith :
Admettre que le fondement du lien social est économique et que les égoïsmes contribuent en s'auto-régulant à construire la prospérité commune le conduit à minimiser le rôle du pouvoir politique . Celui-ci devra assurer un contexte d'ordre , la sécurité des personnes et des biens , mais on n'attendra pas du politique qu'il aille plus loin. (Adam Smith 1723-1790, en écrivant "Recherche sur la nature et les causes de la Richesse des nations " est un des fondateurs du libéralisme économique.
Lorsqu'Aristote définit l'homme comme un "animal politique" , il veut dire que l'homme ne peut trouver son épanouissement que dans la cité sous la loi . Rappelons la différence mentionnée plus haut entre " vivre" et " bien vivre" . le but de la cité pour Aristote est un " bien vivre" , c'est à dire s'accomplir moralement et être heureux.
Ne peut-on essayer de comprendre un homme par sa fin? Pour Aristote, la nature de l’homme, c’est sa fin. L’homme est en puissance seulement, il doit s’accomplir. Il ne peut atteindre sa perfection qu’avec d’autres hommes avec lesquels il entretient des liens durables. Un homme seul serait un être dégradé. Les dieux, en ce qu’ils sont parfaits peuvent vivre seuls. L’homme n’est pas auto- suffisant, il a besoin de son semblable d’abord pour vivre et se perpétuer (famille), bourgade , groupements de plusieurs familles ( autarcie alimentaire ) mais il a surtout besoin pour bien- vivre, c'est-à-dire pour atteindre son excellence, de la cité. Il y a donc quelque chose dans ma nature d’homme qui me pousse à aller vers mon semblable et à vivre avec lui dans la cité. La fin de la communauté politique, c’est le « bien vivre » ou encore le bonheur en atteignant l’excellence. La fin de la communauté politique est une fin morale. Les lois éduquent, les lois font prendre de bonnes habitudes. Ceci se réalise bien sûr dans la cité qui a une bonne constitution. Ce qui est décrit c’est un idéal vers lequel tendent les hommes pour se réaliser.
ANALYSE DU TEXTE. Les Politiques 1-2 - 1253a
Qu’est- ce qui nous montre que l’homme est tout particulièrement fait pour cette existence de citoyen?
L’homme vit en société, autrement que l’animal. Les animaux sont seulement grégaires . L’ordre qui règne dans les sociétés animales est un ordre dicté par l’instinct. L’animal a la voix, dit Aristote. Il ne communiquera jamais rien d’autre que ses besoins, l’état de son corps. (Douleur, plaisir) ; Les hommes construisent leurs institutions, ils se donnent à eux-mêmes des lois. Ils ont « la parole », ils sont capables de dire le bien et le mal, le juste et l’injuste. (En langage moderne, on dirait que le langage humain véhicule des abstractions ;)Aristote décrit un homme capable par la parole d’édifier un monde de valeurs communes et cela par la délibération dans les assemblées publiques. C’est la vie de citoyen qui est ici en filigrane. Notez la manière dont le raisonnement est conduit : La nature ne fait rien en vain. (Prémisse) L’animal possède la voix. L’homme possède la voix comme les autres animaux, mais a en plus la parole. Conclusion : l’homme est fait pour s’accomplir dans la cité sous la loi.
Aristote pense l’homme comme un citoyen. Cette conception est datée historiquement. Le grec se définit par sa participation active à la vie de la cité (et non par sa vie privée).L’existence de l’homme libre est pensée comme essentiellement politique. (Socrate : Le Criton – Chaque citoyen est un enfant des lois)
Question : quelle place accordons nous dans notre vie à la participation aux affaires publiques? Notre vie n’est-elle pas vie - privée : relations affectives, travail, affaires…)
La cité est pensée comme une communauté. On peut parler au sens fort de communauté politique. Une communauté, c’est un groupement de membres liés par des intérêts communs, mais aussi par des traditions et des sentiments puissants, on dirait aussi de manière moderne par des similitudes de mode de vie. (Religion, culture, mœurs sexuelles). On parle de communauté quand il y a des liens très forts de proximité entre membres. Aristote souligne que la cohésion de la cité est assurée par un lien de cet ordre. Une affinité unit tout homme à tout homme : « Les individus de même race ressentent une amitié mutuelle, principalement dans l’espèce humaine … L’homme ressent toujours de l’amitié et de l’affinité pour l’homme. « L’amitié semble aussi constituer le lien des cités. » L’amitié, c’est « la mise en commun ». Les communautés de navigateurs se disent amis, mais c’est pour la conquête d’un avantage particulier : s’enrichir.C'est une communauté partielle, séparée du tout. Les citoyens dans la cité sont unis par l’amitié, et une amitié qui est coextensive à toute la cité, parce qu’ils sentent que dans cette vie commune de citoyen ils se réalisent ils font « Ce qui est utile à leur vie tout entière » (Ethique à Nicomaque VIII) Dans la cité règne la concorde (union des cœurs). On n’a pas besoin de lois, là où règne la concorde. Aristote décrit cette cohésion de la communauté politique reposant sur l’élan qui unit les hommes entre eux parce qu’ils savent qu’ils rencontrent leur bien véritable auprès de leur semblables.
Les attentes à l'égard du pouvoir politique sont plus ou moins grandes .
Va-t-on vouloir borner la souveraineté du pouvoir politique? Va-t-on au contraire lui donner l'extension la plus large , en attendant même du politique qu'il s'immisce dans la vie morale?
Ce pouvoir souverain me demande obéissance : qu’est ce qui le fonde ainsi à me faire obéir?
Sa force? J’obéirais alors par prudence.
Qu’est- ce qui peut l’autoriser (fonder moralement) à me faire obéir ? J'obéis alors en me sentant moralement tenu d'obéir . je suis dans le registre de l'obligation : je dois vouloir obéir. ( Que je le veuille ou non)
Dans une société politique, il y a des lois. Suffit-il qu’elles existent pour qu’on les dise justes? Il nous faut poser la question de la légitimité du pouvoir politique . Légitimité désigne les conditions de validité d'un pouvoir, son titre pour donner des ordres , pour exiger l'obéissance. L'action du pouvoir politique est exercée par des hommes qui donnent des ordres qui doivent être obéis. Qu'est ce qui rend ces ordres obligatoires et pas seulement efficaces? Max Weber écrit : " De nos jours, la base la plus habituelle de la légitimité est la croyance en la légalité" Doit on dire que les lois existantes valent en elles mêmes parce qu'elles existent ? On est là dans le cadre de ce qu'on appelle un "positivisme juridique" Peut on exhiber une valeur trancendante à la légalité étatique qui permettrait de dire le pouvoir légitime?
Reprenons la formule de Rousseau dans l'Emile: "Il faut savoir ce qui doit être pour bien juger de ce qui est"
____________________________________________________________________________________
Comment fonder la légitimite du pouvoir politique ?
L'idée d'un droit naturel, comme principe permettant de juger le droit positif
Qu'est ce que la loi naturelle? . Existe t-il une loi naturelle , existe t-il indépendamment des lois civiles et antérieurement à toutes les lois humaines , une règle de justice immuable , règle qui ne dépendrait d'aucun pouvoir politique pour son existence , et qui pourrait lui servir de fondement?
" Il existe une loi vraie, dit Cicéron, la droite raison, conforme à la nature, répandue dans tous les êtres , toujours d'accord avec elle même , éternelle. C'est elle qui par ses commandements nous porte à accomplir notre devoir, et par ses défenses nous détourne de mal faire. ..... Ni le sénat, ni le peuple romain n'ont le pouvoir de nous dispenser de lui obéir ... C'est une seule et même loi, éternelle, immuable qui est en vigueur en tous temps et chez tous les peuples, car c'est aussi un seul et même dieu, maître commun et souverain de tous les êtres qui en est l'auteur , l'a publiée et promulguée" CICERON - DE LA REPUBLIQUE - LIVRE III 22
(Cicéron se place dans une perspective stoïcienne: une raison éternelle gouverne le monde ,elle se confond avec la raison du sage.)
Thomas d'Aquin fait de cette loi naturelle , une loi instituée par la providence divine.
Les Constituants de 1789 reprennent en la laïcisant , l'idée de l'existence de droits naturels inaliénables et sacrés attachés à l'essence de l'homme.
La loi naturelle représente une norme requise pour juger les pouvoirs politiques humains et les lois des hommes.
Est-elle autre chose qu'une exigence ?
Sommes nous capables d'en déterminer le contenu ?
Comment possédons nous une idée du droit , antérieure à toute convention , c'est à dire à toute loi posée par les hommes ?
Necessité d'un droit naturel et impuissance de la raison à en penser l'idée: critique pascalienne
Pascal Pensées 294-108 (…)"Ils confessent que la justice n’est pas dans ces coutumes mais qu’elle réside dans les lois naturelles, connues en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle"
Pascal ruine l'hypothèse d'un droit naturel. Si les hommes étaient capable de le penser , il éclairerait tous les peuples.Or , nous voyons la justice changer selon les lieux et les époques. Il n'y a pas de droit naturel universel, mais le droit est un ensemble de pratiques, d'habitudes, de coutumes en usage dans une société . (mores) sur ce point Pascal reprend les formules sceptiques de Montaigne."Le larcin, l’inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses" Nous avons irrémédiablement perdu le droit naturel , la vraie légitimité a été perdue. " Il y a sans doute des lois naturelles, mais cette belle raison corrompue a tout corrompu" Pascal ne dit pas que la loi naturelle n'existe pas , il dit que nous sommes incapables d'en retrouver les principes Pascal se rèfère à un principe chrétien , la rupture de l'homme avec Dieu . Sans la Grâce , la raison humaine est incapable de poser des principes absolus. Nous sommes soumis à l'errance du droit positif.
Ne faut-il pas réconcilier pragmatiquement le fait ( la coutume )et le droit? Faire " comme si" la coutume était juste?
Il faut assurer dans la société politique un contexte d'ordre, pour vaquer aux préoccupations du salut.
Pascal ( Janséniste) reprend des thèmes de la pensée de Saint Augustin : "En ce qui concerne notre existence mortelle, une existence qui est vécue en quelques brèves journées, qu'importe sous quel gouvernement l'on vit, puisque l'on doit mourir, pourvu que ceux qui nous gouvernent ne nous obligent pas à faire le mal"
Cette position aboutit à une dépréciation du politique . On dira au peuple que les lois sont justes pour obtenir l'obéissance. Il faut tromper le peuple pour bien le gouverner.
Dans la culture chrétienne, on affirme depuis ST Paul que " Toute autorité vient de Dieu" , mais d'un Dieu que notre raison peut ne pas comprendre.
" Que toute personne soit soumise aux autorités supérieures, car il n'y a point d'autorité qui ne vienne de Dieu. Qui résiste à la puissance résiste à l'ordre de Dieu ... Il est nécessaire d'être soumis, non seulement par crainte du châtiment, mais par obligation de conscience" Saint Paul Epître aux Romains XII 1 -2-5 .
Quand les gouvernements ont été choisis par des arrangements humains, leur autorité leur vient de Dieu. Cette conception est compatible avec toutes les formes de pouvoir politique , pas seulement le pouvoir absolu des rois. Luther disait que les princes sont les fléaux de Dieu , ses exécuteurs nécessaires pour mâter ceux qui font le mal ,en faisant régner la terreur ils font prévaloir l'ordre et la paix dans un monde peuplé d'hommes corrompus.
Pascal croit la raison humaine incapable d'accèder à la loi naturelle, mais la culture chrétienne peut conduire également un chrétien à dire que tout pouvoir politique humain émane de l'autorité de Dieu.
_______________________________________________________________________