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L'art des Techniques

Version du 30 juillet 2009 à 09:35 par Amb (Discuter | Contributions)

Sommaire

La technique, art et artifice

Produits de l’art et produits de la nature

L’art c’est en général l’artifice ou la ruse de l’homme. L’art est précédé d’un projet conscient auquel l’objet créé devra sa forme.

Le galet est formé par des forces aveugles qui s’appliquent à lui de l’extérieur.Le fruit, se développe selon une loi de production interne.

Pascal : Préface traité du vide, Marx : l’abeille et l’architecte.

Le mot art renvoie à l’art des techniques et à l’art des beaux arts.

De l’art des techniques, on dit qu’il vise essentiellement l’utilité alors que l’art des beaux arts vise la beauté, mais la distinction n’est pas toujours pertinente : beaucoup de civilisations ne produisent pas d’objets dont le seul but serait de plaire par leur beauté.

Le propulseur préhistorique peut être orné d’un cheval.

La technique peut s’incarner dans des méthodes et pas seulement dans des objets.



La technique est un « acte traditionnel efficace » Marcel Mauss.

«  On appelle technique un groupe de mouvements, d’actes, généralement et en majorité manuels, organisés et traditionnels, concourant à produire un but connu comme physique, chimique ou organique » Mauss : Journal de Psychologie.

''Efficace parce que poursuivant un but utilitaire. Les techniques sont fondamentalement liées au besoin auxquelles elles apportent une réponse en fournissant des moyens de satisfaction.

Traditionnel, parce que la technique humaine étant consciente et non instinctive elle se transmet de générations en générations et est donc susceptible de progrès. Elle est historique.

NB La magie est aussi un acte traditionnel efficace, mais le magicien attribue la réussite de ses actes à l’irruption dans son monde des forces du sacré.



La technique se distingue de la science.

La technique a longtemps été empirique et tâtonnante. Elle procède par essais et par erreurs et peut réussir sans connaître les raisons de son succès. On dit que c’est un savoir faire aveugle.

(Exemples : le traitement médiéval du goitre par la cendre de varech. On ne connaît pas l’iode et on ne peut savoir que la réussite repose sur l’emploi de l’iode.

Alain emploie pour parler des techniques maritimes une métaphore qui renvoie un peu à la sélection naturelle : on ignore pourquoi telle forme de bateau flotte mieux que les autres, par contre on reproduit les formes de ceux qui ont échappé aux tempêtes.)

A partir du Dix Septième siècle la science éclaire la technique. Elle montre la raison de ses échecs et permet d’y remédier. Ex : le problème des fontainiers de Florence et les découvertes de Torricelli sur le vide et la pression atmosphérique.

L'art des Techniques-La Mise en Oeuvre des Techniques-Le Travail

Introduction -Problématique

Le monde du travail est entièrement constitué de techniques : outils machines. Les techniques sont les moyens du travail. Hannah Arendt souligne la pérennité de la technique, alors que le travail est une activité récurrente.

On appelle travail toute activité utilitaire de transformation de la nature en vue de satisfaire un besoin humain. Nous travaillons parce que nous avons des besoins vitaux, donc sous la pression de la nécessité.

Le travail s’oppose au rêve, au jeu, à la guerre, à toute activité gratuite. Les besoins vitaux sont le signe de notre communauté avec les autres êtres vivants. Le besoin est un manque, mais c’est d’abord la survie du corps qui définit ce manque. Que peut-il y avoir de noble dans le travail s’il marque notre soumission à la nécessité ? La liberté ne consiste-t-elle pas à s’émanciper du travail ?


Pour les uns, l’homme est libre quand il ne travaille pas, pour les autres, le travail lui-même est libération.

Notre culture véhicule des valorisations contradictoires du travail. Les anciens (grecs) « jugeaient qu’il fallait avoir des esclaves à cause de la nature servile de toutes les occupations qui pourvoyaient aux besoins de la vie » (H. Arendt) ( Voir document ci- dessous)


Le christianisme y voit une punition (mais aussi la possibilité d’une expiation et d’un rachat). Les ordres monastiques hésitent entre la valorisation de la prière et la valorisation du travail. Faisons une place particulière au puritanisme à la lumière du texte de Weber : « Ethique Protestante et esprit du capitalisme » Luther fait du travail une vocation. Les calvinistes introduisent l’idée de prédestination et la préoccupation de l’élection. Dans le puritanisme) croire à la prédestination conduit à considérer le travail comme une vocation. Se retirer dans un couvent pour prier n'est pas valorisé. Par contre, chacun recherche les signes de son élection. Que le travail porte des fruits constitue ce signe. On s'enrichit, mais pas pour jouir des fruits de son travail et gaspiller. Le travail est vécu comme une ascèse, l'argent est accumulé. Max Weber montre donc qu'une éthique religieuse a pu induire un comportement d'accumulation capitaliste.


La bourgeoisie du XVIIIème réintroduit la valorisation du travail : on ne se définit plus par son sang, mais par ses œuvres. Elle se développe chez Kant, Hegel, puis Marx.

Faut-il rapporter ces contradictions à l’essence du travail ? Faut-il tenir compte des conditions historiques dans lesquelles le travail s’effectue? (conditions au rang desquelles il faut mettre le développement moderne des techniques.)


La réflexion sur le travail est toujours marquée historiquement. Il est difficile de parler du travail « abstraitement », c'est-à-dire d’en construire un concept en le coupant d’un contexte historique et social dans lequel il s’effectue.


NB : C’est surtout Marx qui élabore cette notion de travail, considérée en général. Dans l’Antiquité grecque, par exemple, il n’y a pas de mot équivalent. On dit que l’esclave « peine », que l’artisan « produit »


Tout travail est il servile? Le travail ne marque -t-il pas notre dépendance par rapport aux besoins?

Le besoin marque la dépendance de l’homme envers la nécessité naturelle et envers son corps. Cette dimension a été jugée avilissante par les grecs. Le sage n’est il pas celui qui sait se rendre indépendant de la nécessité naturelle en limitant le plus possible ses besoins ? Diogène le Cynique casse son écuelle lorsqu’il voit un enfant boire dans ses mains. La nature est pénurique, il faut travailler, mais on peut dire aussi que nos besoins insatiables rendent la nature pénurique et nous contraignent à travailler. Epicure remarquait que la nature a fait les besoins nécessaires et naturels aisés à satisfaire.Rousseau rappelle après lui que tout homme qui ne voudrait « que vivre », vivrait heureux. Le bonheur de l’homme naturel dont Rousseau forme l’hypothèse est de cette sorte. Par contre la société naissante et les passions qu’elle engendre développent l’imagination et créent de nouveaux besoins que l’homme ne sait plus satisfaire seul. Rousseau nomme fantaisies tous les désirs qui ne sont pas de vrais besoins et qu’on ne peut contenter qu’avec le secours d’autrui. A l’âge des cabanes rustiques, les hommes se contentaient des « arts qu’un seul pouvaient faire » (autarcie) Ensuite, avec la métallurgie et l’agriculture naissent les échanges sociaux qui vont fixer les inégalités naturelles en inégalités sociales. « Tous les animaux ont les facultés nécessaires pour se conserver. L’homme seul en a de superflues. N’est-il pas bien étrange que ce superflu soit l’instrument de sa misère ? Les grands besoins naissent de grands biens, et souvent, le meilleur moyen de se donner les choses dont on manque est de s’ôter celles qu’on a » (Rousseau- Emile Livre II)


"On croit m'embarrasser beaucoup en me demandant à quel point il faut borner le luxe. Mon sentiment est qu'il n'en faut point du tout. Tout est source de mal au - delà du nécessaire physique. La nature ne nous donne que trop de besoins ; et c'est au moins une très haute imprudence de les multiplier sans nécessité, et de mettre ainsi son âme dans une plus grande dépendance. Ce n'est pas sans raison que Socrate, regardant l'étalage d'une boutique, se félicitait de n'avoir à faire de rien de tout cela. Il y a cent à parier contre un, que le premier qui porta des sabots était un homme punissable, à moins qu'il n'eût mal aux pieds" ROUSSEAU "Dernière réponse de Jean - Jacques ROUSSEAU de Genève" in Discours sur les sciences et les arts.

Où cesse le besoin ? Où commence le superflu ? Rousseau n'a nulle peine pour répondre à la question qui lui est posée après le Discours sur les sciences et les arts où sont condamnées comme dangereuses et inutiles les connaissances, les techniques et les œuvres d'art. Le superflu commence précisément là où le besoin cesse.


Par le besoin, nous voici donc esclaves de la nature que notre travail s’efforce de transformer et esclaves des autres hommes dont la volonté dispose de notre liberté et de notre bonheur. Toutefois, autant le besoin augmente notre dépendance vis-à-vis des autres, autant il contribue à développer notre sociabilité, la division du travail, le commerce, l’invention. Le travail est créateur d’échanges sociaux. Il faut y reconnaître aussi la manifestation de la perfectibilité de l’homme. Critiquer les besoins que la société et l’histoire suscitent, ce serait inviter à rentrer dans l’état de nature, ce qui n’a pas de sens, (et ce que Rousseau n’a jamais fait)

NB : Notre époque peut se reposer la question du besoin sous un angle nouveau. La société de consommation nous rend dépendant d’une industrie qui crée des besoins superflus et nous engage à travailler en identifiant le bonheur à la possession de biens de consommation. (Et ceci dans un monde où certains parviennent à peine à donner satisfaction à leurs besoins vitaux.)




Le travail n'a -t-il pas une dimension essentielle d'émancipation de l'homme?

Hegel : la dialectique du maître et de l’esclave :

Hegel développe une sorte de mythe rationnel : Sur le champ de bataille, celui qui devient esclave est celui qui a tremblé pour sa vie animale Le maître a osé supporter le risque de la vie. Il a besoin de l’esclave pour le faire travailler, mais aussi et surtout pour être reconnu comme maître. Quand la relation s’est instaurée, le maître mène une vie de jouissance, il consomme ce que l’esclave produit. Il mène une sorte de vie animale. Par contre l’esclave transforme la nature, développe des techniques. L’humanité, nous dit Hegel chemine par le travail de l’esclave. Hegel fait du travail la dimension de la prise de conscience de soi.

Conscience : cum scio = avec savoir. Je peux me connaître moi-même, intellectuellement, par une réflexion sur moi-même. Je peux aussi me connaître moi-même dans l’œuvre.

Pour Hegel l’homme se connaît lui-même en transformant ce qui lui est étranger. Il imprime par le travail sa marque dans le monde extérieur. Il objective ses talents. ( Extrait de l’esthétique de Hegel : le petit garçon qui fait des ricochets , transforme la nature et y reconnait la marque humaine)

Marx après Hegel souscrit à cette revalorisation du travail :

Marx dans Le Capital I - 3ème section souligne les caractères fondamentalement humains du travail.(Voir Texte) Le travail est bien sûr une « activité utile à la vie », mais l’homme, modifiant la nature «  modifie sa propre nature et développe les facultés qui y sommeillent » Le travail proprement humain, à la différence de l’activité animale (abeille) est une activité consciente, réfléchie. Le plus mauvais architecte «  construit la cellule dans sa tête » avant de la construire dans la ruche. Il réalise son projet. la nature s’humanise parce que l’homme y réalise ses propres fins et en même temps l’homme prend conscience de ses propres aptitudes en les manifestant dans une œuvre.

Ce faisant, le travail est une culture de la volonté. pour mener à bien une tâche, il faut vouloir longuement, dans le même sens. Il faut «  une tension constante de la volonté ». On comprend là qu’on a pu donner au travail une valeur morale de discipline de soi sur soi.

Le facteur technique intervient dans le travail et le détermine. « Ce qui distingue une époque d’une autre dit Marx, c’est moins ce qu’on produit que la façon dont on le produit »

Les techniques animales n’évoluent pas ou très peu. Les techniques humaines innovent et se modifient dans l’histoire (CF Pascal- Préface du Traité du Vide)

L’homme en transformant la nature se transforme lui-même ainsi que son propre milieu. Il façonne et fait évoluer des rapports sociaux. Il entre dans l’histoire.

NB : Cette revalorisation du travail que nous avons étudiée apparaît au 18ème siècle dans les textes kantiens, puis chez Hegel auquel Marx l’emprunte en la transformant. Kant écrit qu’on ne peut reprocher à la nature d’avoir crée l’homme nu, et doté seulement de la main, parce que grâce à cette avare dotation, l’homme a dû tirer de lui-même tout son développement. (Voir Cours sur la culture) Une humanité comblée par la nature (paradis terrestre) et ne rencontrant jamais la nécessité de travailler n’aurait pas non plus progressé. Dans son Traité de pédagogie, Kant affirme qu’il n’y a pas lieu de regretter la condition d’Adam et Eve. Il faut plutôt dire que, chassés du paradis terrestre et forcées de travailler, ils se sont lancés dans un processus de progrès historique .Kant accorde aussi une valeur pédagogique au travail : « Il est de la plus haute importance que les enfants apprennent à travailler » Le travail est une discipline formatrice qui éduque à la liberté. (Culture de la volonté)


Si on reconnaît au travail ces aspects positifs, pourquoi est-il si souvent vécu comme un esclavage pénible ? Les conditions historiques dans lesquelles il s’effectue n’en sont elles pas responsables ?


Les conditions historiques dans lesquelles le travail s'effectue

Analyse de la notion d’aliénation

Aliéner, c’est donner à l’autre. Etre aliéné,c'est devenir autre, devenir étranger à soi même, être dépouillé de ce qui nous est propre, devenir dans ce cas aussi dépendant de l’autre. (Le « fou » , l’aliéné , c’est l’homme dépouillé de sa raison).

On peut parmi des facteurs multiples de l'alienation en isoler deux ou trois:

La division sociale du travail :

Chacun a sa tâche. C’est un phénomène normal d’évolution des sociétés. Le travail suscite a-t-on remarqué plus haut les échanges sociaux. Marx et les socialistes utopiques la dénoncent au 19 ème siècle parce que, engendrant la spécialisation des tâches, elle crée un homme « parcellaire, enfermé dans un secteur d’activité : agriculteur ou forgeron. Ils ont la nostalgie de l’ « homme total » dont les aptitudes seraient développées dans des sens différents. Ils déplorent surtout la division entre le travail manuel et le travail intellectuel.

La division technique du travail :

L’évolution des techniques (Mais aussi des impératifs de rentabilité) ont décidé la transformation de l’artisanat et des métiers .La pensée du travail est séparée des tâches d’exécution et l’ouvrier sur une chaîne est condamné à une tache parcellaire d’exécution. Le travail ne mène plus à la création d’une œuvre. On peut voir dans cette évolution des sociétés industrielle une conséquence perverse de l’évolution des techniques.

Marx cependant essaie de montrer, en faisant une critique de l’économie libérale, que ces facteurs sont surtout rendus néfastes pour l’homme par la structure de la société dans laquelle le travail s’effectue.

Aliénation et lois du marché.

Dès qu’apparaît la manufacture le travailleur ne peut que vendre sa force de travail. Le travail qui devrait être un moyen pour l’homme d’incarner ses aptitudes dans une œuvre n’est plus qu’une « marchandise soumise aux même lois que les autres marchandises » Le travailleur vend sa force de travail pour assurer sa subsistance. «  La force de travail est donc une marchandise que son possesseur le salarié vend au capital. Pourquoi la vend –il ? Pour vivre… (…) Les 12 heures de travail n’ont nullement pour lui le sens de tisser, de filer, de percer, etc., mais celui de gagner ce qui lui permet d’aller à table, à l’auberge, au lit. » (Travail salarié et Capital.) Le travail est sensé élever l’homme au dessus de l’animalité. Les conditions historiques dans lesquelles il s’effectue sont telles que son activité n’a d’autre sens pour lui que d’assurer sa survie physiologique.


La force de travail a un prix. Les économistes libéraux considèrent que le capitaliste achète la force de travail à son juste prix. Marx remarque d’un part que l’échange est contraint. Le travailleur » libre » création des sociétés industrielles est en fait obligé de vendre sa force de travail pour survivre. Sa «  liberté » est théorique. D’autre part Marx dénonce les économistes libéraux en affirmant que la force de travail n’est pas vraiment payée : l’ouvrier se trouve dépouillé d’une partie de son travail qui est la source du profit capitaliste. Le remède est pour Marx économique et social. La machine n’est pas fautive, mais la loi du profit. Marx considère qu’une société sans classes pourrait mettre fin à l’exploitation du travail humain. L’homme doit redevenir une fin. (et non un moyen subordonné à des impératifs de production)


Les valorisations contemporaines du travail sont elles autant de mystifications?

Marx définit donc l’homme comme un producteur et souhaite qu’on lui rende sa dignité de producteur. Doit-on faire peser un soupçon sur cette hiérarchie de valeurs qui place au premier rang des activités humaines le travail ?

Nietzsche au 19 ème siècle suspecte cette valorisation du travail de n’avoir d’autre fin que des fins de pacification sociale. « Le travail n’est-il pas la meilleur des polices ? » Les sociétés ont peur de l’individualisme et préfèrent que les hommes s’investissent dans des tâches utiles à tous, en y usant leurs forces nerveuses. Renouant avec les valeurs grecques, Nietzsche affirme que seules valent pour l’individu, la guerre, la poésie, les activités d’un loisir actif, (la politique, l’art) mais que les sociétés démocratiques ne veulent pas le reconnaître. La hiérarchie des valeurs grecques reposait sur l’esclavage qui permettait à certains de se libérer des tâches productives. Nietzsche ne peut l’ignorer. Aristote écrivait "Quand les navettes marcheront toutes seules, nous n’auront plus besoin d’esclaves » . Nietzsche préfère sans doute à une sociétés qui se veut productive et produit souvent trop de superflu, une société plus frugale, donnant moins satisfaction aux besoins, mais faisant plus de place à l’art.


Conclusion

L’homme être qui pense, producteur, artiste ?