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Les Pensées de Pascal

Version du 8 avril 2009 à 16:33 par Amb (Discuter | Contributions)

En marge du travail fait en Lettres , puisqu'une partie des Pensées figure au programme du Baccalauréat, nous essaierons de lire en travaillant le programme de philosophie quelques extraits du texte de Pascal ainsi que des extraits d'autres œuvres du même auteur "Discours sur la condition des grands", "Préface sur le Traité du vide".

Préambule: remarques générales:

Pascal envisageait d' écrire une Apologie de la religion chrétienne.S'adressant aux libertins de son époque , il voulait rassembler des arguments propres à défendre la religion chrétienne. Les libertins du Dix Septième siècle sont des esprits forts , des raisonneurs qui discutent les fondements du pouvoir royal et prennent parfois des positions athées.Des grands seigneurs comme Condé ou Gaston d'Orléans appartiennent à ce courant.Ce sont aussi des joueurs , et pour eux Pascal s'interesse au calcul de probabilités.

Pascal vise -t-il à convertir les libertins? Le propos serait en contradiction avec une de ses positions les plus constantes. Pour lui, seul Dieu convertit l'homme en lui donnant sa grâce et en touchant son coeur.Les vérités de la foi ne peuvent cheminer de la raison jusqu'au coeur.Lorsqu'il fait le récit de sa propre conversion, Pascal décrit une illumination.

Quel peut être le sens d'une argumentation rationnelle? Peut - être peut -on dire qu'elle est propre à tourner les esprits vers Dieu? Qu'elle les dispose à recevoir la Grâce? User de sa raison, argumenter rationnellement peut conduire la raison à reconnaître sa propre impuissance et ainsi préparer les esprits à rechercher Dieu.Dans Les Entretiens avec Monsieur de Sacy, Pascal argumente en ce sens . Son directeur de conscience lui conseille de laisser là les livres des philosophes et de se contenter de lire les textes sacrés . Pascal soutient au contraire qu'il faut lire Epicure et les Stoïciens pour constater à quel point ils se contredisent, témoignant ainsi de l'échec de la raison à penser les questions les plus importantes de la condition humaine et de la nécessité de se tourner vers la religion.



Extrait du Second Discours sur la condition des grands:

" Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs ; car il y a des grandeurs d'établissement et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d'établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, en l'autre les roturiers ; en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pour- quoi cela ? Parce qu'il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l'établissement : après l'établissement elle devient juste, parce qu'il est injuste de la troubler. Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu'elles consistent dans des qualités réelles et effectives de l'âme ou du corps, qui rendent l'une ou l'autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l'esprit, la vertu, la santé, la force. Nous devons quelque chose à l'une et à l'autre de ces grandeurs ; mais comme elles sont d'une nature différente, nous leur devons aussi différents respects. Aux grandeurs d'établissement, nous leur devons des respects d'établissement, c'est-à-dire certaines cérémonies extérieures qui doivent être néanmoins accompagnées, selon la raison, d'une reconnaissance intérieure de la justice de cet ordre, mais qui ne nous font pas concevoir quelque qualité réelle en ceux que nous honorons de cette sorte. Il faut parler aux rois à genoux ; il faut se tenir debout dans la chambre des princes. C'est une sottise et une bassesse d'esprit que de leur refuser ces devoirs. Mais pour les respects naturels qui consistent dans l'estime, nous ne les devons qu'aux grandeurs naturelles ; et nous devons au contraire le mépris et l'aversion aux qualités contraires à ces grandeurs naturelles. "

Pascal, Second discours sur la condition des grands


A comparer avec le texte de Kant:

"Le respect s'applique toujours uniquement aux personnes, jamais aux choses. Les choses peuvent exciter en nous de l'inclination et même de l'amour ; si ce sont des animaux (par exemple des chevaux, des chiens, etc.), ou aussi de la crainte, comme la mer, un volcan, une bête féroce, mais jamais de respect. Une chose qui se rapproche beaucoup de ce sentiment., c'est l'admiration et l'admiration comme affection, c'est-à-dire l'étonnement, peut aussi s' appliquer aux choses, aux montagnes qui se perdent dans les nues, à la grandeur, à la multitude et à l'éloignement des corps célestes, à la force et à l'agilité de certains animaux, etc. Mais tout cela n'est point du respect. Un homme peut être aussi pour moi un objet d'amour, de crainte ou d'une admiration qui peut même aller jusqu'à l'étonnement et cependant n'être pas pour cela un objet de respect. Son humeur badine, son courage et sa force, la puissance qu'il a d'après son rang parmi ses semblables, peuvent m'inspirer des sentiments de ce genre, mais il manque toujours encore le respect intérieur à son égard. Fontenelle dit : "Devant un grand seigneur, je m'incline, mais mon esprit ne s'incline pas. "Je puis ajouter : devant un homme de condition inférieure, roturière et commune, en qui je perçois une droiture de caractère portée à un degré que je ne me reconnais pas à moi-même, mon esprit s'incline, que je le veuille ou non, et si haut que j'élève la tête pour ne pas lui laisser oublier ma supériorité. "

KANT: Critique de la raison pratique




Pascal. Pensées. 294-108 (Brunschvicg- Lafuma)

( NOTRE RAISON EST-ELLE ENCORE CAPABLE DE PENSER LA JUSTICE ?)

"Sur quoi la fondera-t-il, l'économie du monde qu'il veut gouverner? Sera-ce sur le caprice de chaque particulier? Quelle confusion! Sera-ce sur la justice? il l'ignore.

Certainement s'il la connaissait, il n'errait pas établi cette maxime, la plus générale de toutes celles qui sont parmi les hommes, que chacun suive les moeurs de son pays; l'éclat de la véritable équité aurait assujetti tous les peuples, et les législateurs n'auraient pas pris pour modèle, au lieu de cette justice constante, les fantaisies et les caprices des Perses et Allemands. On la verrait plantée par tous les États du monde et dans tous les temps, au lieu qu'on ne voit rien de juste ou d'injuste qui ne change de qualité en changeant de climat. Trois degrés d'élévation du pôle renversent toute la jurisprudence, un méridien décide de la vérité ; en peu d'années de possession, les lois fondamentales changent; le droit a• ses époques, l'entrée de Saturne au Lion nous marque l'origine d'un tel crime. Plaisante justice qu'une rivière borne! Vérité au deçà des Pyrénées, erreur au delà'.

Ils confessent que la justice n'est pas dans ces cou­tumes, mais qu'elle réside dans les lois naturelles, connues en tout pays. Certainement ils le soutiendraient opiniâtrement, si la témérité du hasard qui a semé les lois humaines en avait rencontré au moins une qui fût universelle ; mais la plaisanterie est telle, que le caprice des hommes s'est si bien diversifié, qu'il n'y en a point.

Le larcin, l'inceste, le meurtre des enfants et des pères, tout a eu sa place entre les actions vertueuses. Se peut-il rien de plus plaisant, qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure au delà de l'eau, et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui'?

Il y a sans doute des lois naturelles ; mais cette belle raison corrompue a tout corrompu ; Nihil amplius nostrum est ; quod nostrum dicimus, artis est.(1) Ex senatus consultis et plebiscitis crimina exercentur.(2) Ut olim vitiis, sic nunc legibus laboramus(3).

De cette confusion arrive que l'un dit que l'essence de la justice est l'autorité du législateur, l'autre la commodité du souverain, l'autre la coutume présente ; et c'est le plus sûr : rien, suivant la seule raison, n'est juste de soi, tout branle avec le temps. La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue, c’est le fondement mystique de son autorité. Qui la ramène à son principe l’anéantit. (…)

(…)

L'art de fronder, bouleverser les États, est d'ébranler les coutumes établies, en sondant jusque dans leur source, pour marquer leur défaut d'autorité et de justice. Il faut, dit-on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l'État, qu'une coutume injuste a abolies. C'est un jeu sûr pour tout perdre; rien ne sera juste à cette balance. Cependant le peuple prête aisément l'oreille à ces discours. Ils secouent le joug dès qu'ils le reconnaissent; et les grands en profitent à sa ruine, et à celle de ces curieux examinateurs des coutumes reçues. C'est pourquoi le plus sage des législateurs' disait que, pour le bien des hommes, il faut souvent les piper ; et un autre, bon politique : Cum veritatem qua liberetur ignoret, expedit quod fallatur('4). Il ne faut pas qu'il sente la vérité de l'usurpation ; elle a été introduite autrefois sans raison, elle est devenue raisonnable ."



(1) Il n’y a plus rien qui soit nôtre, ce que j’appelle nôtre est œuvre de convention Cicéron

(2 ) (C’est en vertu de senatus consulte ou de plébiscites qu’on commet des crimes (Sénèque)

(3 ) Autrefois nous souffrions de nos vices, aujourd’hui , nous souffrons de nos lois - Tacite

Ces citations sont empruntées à divers chapitres de Montaigne.

(4) : Comme il ignore la vérité qui le délivrerait, il lui est bon d’être trompé (Citation inexacte de Montaigne, citant inexactement St Augustin).'' '


Pascal. Pensées .( 67-208)

( Sur l'Impuissance de la raison à penser la politique)

"Les choses du monde les plus déraisonnables deviennent les plus raisonnables à cause du .dérèglement des hommes. Qu'y a-t-il de moins raisonnable que de choisir, pour gou­verner un État, le premier fils d'une reine ? On ne choisit pas pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de la meilleure maison'.

Cette loi serait ridicule et injuste; mais parce qu'ils le sont et le seront toujours, elle devient raisonnable et juste, car qui choisira-t-on, le plus vertueux et le plus habile ? Nous voilà incontinent aux mains, chacun prétend être ce plus vertueux et ce plus habile. Attachons donc cette qualité à quelque chose d'incontestable. C'est le fils aîné du roi, cela est net, il n’y a point de dispute. La raison ne peut mieux faire , car la guerre civile est le plus grand des maux."