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De la Démocratie en Amérique - Alexis de Tocqueville

Quelques indications pour une approche du texte. (Référence à l'Edition Garnier Flammarion)

Bibliographie:

P. Manent: Tocqueville et la nature de la démocratie. (Esprit de la cité - Fayard)

C. Polin: Profil d'une œuvre N°208 Hatier

Sommaire

Projet de l'auteur

Tocqueville fait un voyage qui est la quête d'une essence, celle de la démocratie. La France vient de connaître des désordres révolutionnaires, on n'y voit pas encore clairement les choses. Aux États Unis, la démocratie est née de sa fondation par les puritains. C'est une fondation libre maîtrisée, on aura une vision claire de la démocratie, et on saura ce qu'on peut en attendre, on verra également ce qui est à redouter. ( le livre I, Première Partie, chapitre II est consacré au point de départ des américains). Il y a des différences, mais ces différences pourront contribuer à faire comprendre le phénomène démocratique. Tocqueville considère la marche en avant vers la démocratie comme inévitable. C'est un phénomène "irrésistible" qu'on ne peut songer à arrêter, mais qu'il faut tenter de comprendre. "Le livre entier a été écrit sous l'impression d'une sorte de terreur religieuse produite dans l'âme de l'auteur par la vue de cette révolution irrésistible qui marche depuis tant de siècles à travers tous les obstacles"(TI P.61)La civilisation occidentale marche dans le sens d'une égalisation progressive des hommes, tout particulièrement sensible sur le plan des conditions matérielles d'existence.

Tocqueville veut réfléchir aux difficultés des sociétés démocratiques, et particulièrement au sort de la liberté, pour comprendre les ressources dont les hommes disposent.

T I P. 425 :"Mon but a été de montrer par l'exemple de l'Amérique, que les lois et surtout les mœurs pouvaient permettre à un peuple démocratique de rester libre. " R. Aron formule de la manière suivante la problématique de Tocqueville: " A quelles conditions une société, où le sort des individus tend à devenir uniforme, peut-elle ne pas sombrer dans le despotisme et sauvegarder la liberté?"

Le TI décrit la démocratie américaine

Le TII construit une sorte d'Idéal -type weberien de la démocratie, il isole les traits saillants de la démocratie moderne.


Définition de la démocratie par l'égalité des conditions

L'égalité des conditions est le principe "le fait générateur"

La démocratie est un état social, non un régime politique, c'est une transformation en profondeur de l'organisation sociale. Comme fait générateur, Tocqueville la considère comme une cause et montre tout ce qu'elle engendre. C'est la cause des lois, des idées des coutumes. (On peut remarquer que Tocqueville désigne cependant deux autres principes générateurs: la souveraineté du peuple, et l'influence de l'opinion publique. Il faudra voir qu'il s'agit de trois modalités du même principe).

Qu'est-ce que l' "égalité des conditions"?

"Parmi les objets nouveaux qui, pendant mon séjour aux États Unis, ont attiré mon attention, aucun n'a plus vivement frappé mes regards que l'égalité des conditions. " P.58 TI Le texte est sous-tendu par une comparaison entre les sociétés démocratiques et les sociétés aristocratiques.

Dans les sociétés aristocratiques, on rencontre des rangs et des castes, l'inégalité des conditions et les influences individuelles. Les hommes sont liés les uns aux autres par des liens traditionnels de dépendance. L'obéissance est vécue comme un fait de nature " Le serf regarde son infériorité comme un effet de l'ordre immuable de la nature" (P.63)Tocqueville souligne la stabilité du corps social ainsi organisé. "Le corps social pouvait avoir de la stabilité, de la puissance et surtout de la gloire"(P.63)

Dans les sociétés démocratiques, l'égalité sociale signifie qu'il n'y a pas de différences héréditaires de condition. : il y a des riches et des pauvres, égalité des conditions ne signifie pas égalité économique, mais il n' y a plus de lien de dépendance individuelle. Les membres du corps social sont isolés les uns des autres. « L’égalité place les hommes les uns à côté des autres, sans lien commun qui les retienne » La structure sociale est fluide parce que la société démocratique est une société d’individus.

NB: La liberté et l’égalité dans les sociétés démocratiques peuvent engendrer des effets négatifs: l’indifférence des uns par rapport aux autres. Chacun est libéré de l’influence de son voisin, mais se retrouve sous l’influence de la majorité. L’union des hommes est donnée dans les sociétés aristocratiques, elle reste à faire dans les sociétés démocratiques. Les hommes y doivent s’associer en préservant leurs libertés. Le lien social est à construire: ce sera pour Tocqueville une des tâches de la démocratie: construire des liens entre des hommes indépendants.

« Il faut une science politique nouvelle à un monde tout nouveau. »(P.62)

Lé démocratie travaille la société et la transforme. Les hommes ne sont pas égaux en fait, mais ils se pensent tous égaux. L'horizon de la conscience sociale, c'est l'égalité et cela transforme les relations les plus inégalitaires.

La mobilité sociale

P. 225-226 TII-3eme Partie - Chapitre V - Comment la démocratie modifie les rapports du serviteur et du maître.

Dans les sociétés aristocratiques, les hommes exercent une grande influence les uns sur les autres. Il y a des hiérarchies. Maîtres et serviteurs le sont souvent de générations en générations. Les positions sont familiales et non individuelles. Maîtres et serviteurs s’identifient à leur position sociale.

Dans les sociétés démocratiques, il y a mobilité sociale. Le serviteur peut devenir le maître et réciproquement. L’un sert l’autre en vertu d’un contrat. L’esprit de la relation est changé. Il y a une « égalité imaginaire », en conscience. La relation maître - serviteur n’est plus immuable. « A chaque instant, le serviteur peut devenir le maître et aspire à le devenir » ( P.225-226)

L’opinion publique est un imaginaire irrésistible qui place les hommes les plus inégaux dans un horizon d’égalité.

En démocratie, on se pense tous égaux.

La démocratie,c'est un principe objectif, l'égalité des conditions, c’est aussi un principe moral subjectif : la passion de l’égalité

Cette passion de l'égalité peut contribuer à écarter du pouvoir les hommes de mérite. (P.285-286 TII) Les faibles souhaitent attirer les forts à leur niveau. Le moteur de l'égalité, c'est l'égalité : plus l'égalité progresse objectivement, plus l'inégalité résiduelle est ressentie comme insupportable.

Tocqueville pose un problème:L’égalité dans les siècles démocratiques ne risque-elle pas d’être une égalité dans la servitude ?


La souveraineté populaire

Conséquence logique de l'égalité des conditions

S'il n'y a pas de différence essentielle de condition entre les membres d'une collectivité, il apparaît normal que la souveraineté soit détenue par l'ensemble des individus. T I Première Partie Chapitre III - Etat social des anglo-américains; "Je ne sais que deux manières de faire régner l'égalité dans le monde politique: il faut donner des droits à chaque citoyen, ou n'en donner à personne. "(P.115) "Les anglo-américains ont été assez heureux pour échapper au pouvoir absolu". C'est à leur fondation puritaine que les Etats unis doivent cette heureuse orientation, l'esprit de liberté s'est associé à l'esprit de religion dès leur fondation. Ce principe de la souveraineté populaire est aussi un principe générateur de la république, mais au delà, il règle la plupart des actions de la vie quotidienne, il pénètre la totalité de la vie. Comment le formuler? "Chaque individu est considéré comme aussi éclairé, aussi vertueux, aussi fort qu'aucun de ses semblables" ( P.128 TI) Chacun est censé avoir reçu de la providence de degré de raison nécessaire pour se gouverner. Chacun n'obéit donc légitimement qu'à soi même. (Voir P.107-115 TI) Si l'on obéit à une autre volonté, il faut que cette autre volonté soit aussi la sienne, je n'ai pas à obéir à ce que je n'approuve pas. Dans ce dernier cas, il y aurait esclavage;

Tocqueville à partir de cette analyse fait entrevoir un danger possible: les hommes ont voulu se faire égaux. L'égalité les dispose à ne pas songer à leurs semblables et leur fait une sorte de vertu publique de l'indifférence.

La tyrannie de la majorité, perversion du principe de la souveraineté populaire

Là commence le diagnostic par Tocqueville des maladies de la démocratie.

Si l'on respecte le principe de la souveraineté populaire, tous doivent prendre part au gouvernement des peuples. l'unanimité serait un bon principe. A défaut, on a admis que la majorité suffit. Il se pose alors en démocratie la question de la défense des minorités et de leurs droits. La majorité peut elle décider de ne pas tenir compte des minorités? Va-t-on parler de tyrannie? Si la majorité incarne un bien commun, si elle voit juste, comment pourrait-elle être tyrannique? C'est la formule que retient Rousseau dans le Contrat Social. La volonté générale incarne par définition le bien commun.

Or en démocratie, par définition la majorité a toujours raison. Tocqueville analyse " l'empire moral de la majorité" TI - Partie 2 - Chapitre VII P.343 et suivantes.

"L'empire moral de la majorité se fonde en partie sur cette idée, qu'il y a plus de lumières et de sagesse dans beaucoup d'hommes réunis que dans un seul, dans le nombre des législateurs que dans le choix" P. 344 Le nombre est il vraiment un signe de vérité? Un seul homme ne peut-il avoir raison contre tous? Le peuple souverain ne peut-il pas se tromper sans s'en rendre compte?

Y a-t-il un moyen de juger les décisions d'une majorité?

TI- Partie2 - Chapitre VII P. 348 " La justice forme donc la borne du droit de chaque peuple" Au dessus des décisions du législateur, Tocqueville affirme l'existence de principes de justice qui permettent d'en juger. La justice ne se ramène pas au droit positif. Au dessus de la souveraineté du peuple, Tocqueville parle d'une " souveraineté du genre humain ". On peut penser à Montesquieu: avant qu'il y eût des lois faites, il y avait des principes de justice possibles. (Esprit des lois) Bien loin que la majorité incarne le bien commun, Tocqueville suggère qu'il peut lui arriver de représenter des intérêts contraires aux intérêts de la minorité. ( Volonté de tous et non volonté générale en langage rousseauiste). Un peuple souverain doit donc être capable de faire cette différence et d'admettre que pas plus qu'un seul homme, un grand nombre, une majorité n'a pas nécessairement raison. Il y va de la liberté et de la transformation d'une démocratie en tyrannie. Il serait bon que le débat démocratique soit animé par la confrontation entre avis divergents. Or dans une démocratie, les citoyens n' ont plus le désir d'avoir des avis divergents. Tocqueville va pointer le problème: chacun se sent l'égal de l'autre, mais chacun finit pas redouter toute différence.


L'opinion publique - L'absence de liberté de pensée

Le conformisme des sociétés démocratiques

Les sociétés démocratiques favorisent l'homogénéisation des esprits. La majorité exerce un pouvoir sur la pensée: il y a conformisme. Conséquence de l’égalité, il n’y a plus d’influence individuelle, donc d’influence de quelques hommes éclairés sur les autres, mais une influence du grand nombre.

On affirme souvent qu'un pouvoir politique, même despotique ne peut mettre de bornes à la liberté de penser. La pensée est intérieure, le pouvoir ne peut pénétrer dans les esprits. ce n'est pas aussi simple: la pensée se nourrit d'échanges et un pouvoir peut censurer, brûler les livres, interdire les réunions. Aux États Unis, la situation est différente, il n'est pas nécessaire qu'un pouvoir tente de mettre des bornes à la libre circulation des idées: chacun se rallie volontairement à la pensée majoritaire.

"Je ne connais pas de pays où il règne en général, moins d'indépendance d'esprit et de véritable liberté de discussion qu'en Amérique. TI Partie 2 Chapitre VII P.353

La religion aux États unis existe sous forme d’opinion commune. Ce que l’inquisition par les tortures n’a pas réussi, la pression de la majorité le réalise. (P.355)

L'écrivain jouit d'une totale liberté, il n'est pas censuré, mais s'il s'écarte de la pensée majoritaire, on ne le lit plus, on l'ignore.Il renonce lui même à publier ce qui l'écarterait trop de la majorité. "La majorité trace un cercle formidable autour de la pensée" (P. 353)

Une fois le débat clos et une majorité formée, il est comme impie de ne pas se plier à sa règle. Autour du minoritaire se forme comme une réprobation muette qui lui interdit toute carrière, toute influence. « La majorité vit donc en perpétuelle adoration d’elle même » ( P.355)

La grande liberté théorique des américains contraste avec leur faible indépendance d’esprit.

P. Manent écrit P. 67 de l’ouvrage cité plus haut .:

« Il ne s’agit pas de se plier à une opinion parce qu’elle est communément reçue, il n’y a d’opinion légitime que parce qu’elle est communément reçue ». L’état social démocratique modifie donc la manière de penser des hommes. L'unanimité est obtenue sans violence, par le conformisme. La société démocratique ne sera pas le lieu de débats d'idées féconds, et la majorité, au sens politique du terme aura donc beaucoup plus de chance de manquer la vérité et le bien commun.

Comment pourrait-on lutter contre ce conformisme? Comment favoriser la diversité des opinions, Il y a divergence d'intérêts économiques. De ce conflit des intérêts économiques, peut-il naître un vrai débat? Tocqueville souligne surtout la piètre qualité des gouvernants.

Le phénomène de la croyance

L’homme pense, il ne peut vivre sans opinions sur le monde qui l’entoure, sur lui même. La plupart de ses opinions sont reçues par chacun sans discussions. C’est pourquoi Tocqueville les nomme des « croyances dogmatiques »

C’est une situation nécessaire et désirable. Il faut une autorité intellectuelle, la question est de savoir où elle sera logée. Si par exemple les hommes les plus éclairés servaient d’autorité intellectuelle, ce ne serait pas critiquable, mais cela ne sera pas le cas;

Il faut croire parce qu’une société pour être soudée a besoin de croyances communes.

Il nous faut croire parce qu’il est impossible à un homme de re-démontrer et de prouver lui même toutes les connaissances que son époque a accumulées.

Dans les sociétés démocratiques, on voit la fin des influences individuelles (d’un homme sur un autre). Chacun se renferme sur soi même. A mesure que les citoyens deviennent égaux, la disposition à croire en la masse augmente, faute de croire en son prochain car il ne vaut pas mieux que soi.

« Ce que croit l’homme démocratique, c’est cette chose qui n’a été pensée par personne et qu’on peut croire pensée par tous et qu’on appelle opinion » (P.17-18) TII.

Tocqueville montre donc que les sociétés démocratiques, comme toutes les sociétés, sont fondées sur des croyances communes qui les soudent et les dynamisent. Cette unanimité dans la croyance a aussi pour conséquence dommageable le conformisme dénoncé plus haut. On peut remarquer que d'un côté , Tocqueville critique le conformisme, de l'autre,il montre l'importance des croyances pour souder une société.


Articulations logiques du texte (De la source principale des croyances chez les peuples démocratiques):

Thèse :Tocqueville soutient que l’on ne peut pas se passer de croyances. La philosophie veut être une pensée critique, Tocqueville décrit les limites d’une telle critique.

Définition de la croyance: opinion que l’on reçoit sans discuter: croire, c’est tenir pour vrai, donner son adhésion, sans preuves ou au delà de la preuve, en faisant confiance par exemple à un témoin, ou à une autorité intellectuelle qui exerce un certain ascendant sur notre esprit. Celui qui croit pense être dans le vrai. Tocqueville parle d'"opinions que les hommes reçoivent en confiance et sans les discuter. "(P.15)


Tocqueville affirme que les croyances sont indispensables au lien social. Les hommes doivent en société être réunis par des valeurs communes qui leur donnent des buts communs " sans idées communes, il n'y a pas d'action commune, et sans actions commune, il existe encore des hommes, mais non un corps social" On peut donner comme exemple les grands mythes américains qui ont dynamisé le corps social, comme le mythe de la frontière, et sa reformulation par Kennedy quand il lance les programmes de conquête spatiale." La nouvelle Frontière".


De la société prise en totalité, on passe à l’individu. Un homme ne peut tout repenser par lui-même, sa vie est courte, son esprit limité. Il lui faut donc recevoir d’autrui tout un fond de connaissances (on fait confiance à des maîtres, à des autorités). Il ne peut penser par lui même que dans un domaine étroit de connaissances. Des philosophes comme Descartes ou Pascal pouvaient rassembler dans leur esprit toute le savoir d'une époque. Cela n'est plus possible.

C’est nécessaire: il ne peut en être autrement, le contraire est impossible. "Il n'y a pas de si grand philosophe au monde qui ne croie un million de choses sur la foi d'autrui"(P.16)La philosophie commence par le doute, elle est recherche d'une autonomie intellectuelle. Tocqueville remarque qu'une telle ambition a ses limites..


De nécessaire, on passe à désirable. (Tocqueville dit donc qu’on ne peut pas se passer de croyances, mais qu’il est bon qu’il en soit ainsi. Là où la philosophie se définit par le doute, le renversement des autorités, Tocqueville met des limites: il faut admettre beaucoup de choses et se contenter de concentrer sa réflexion sur quelques points.On ne pourra approfondir qu'un petit nombre d'objets.) Conclusion: il y a donc toujours dans le monde intellectuel des autorités. Question: qui doit en être le dépositaire. la question sera de bien choisir les autorités auxquelles on pourra faire confiance.

Dans les sociétés démocratiques, les hommes ont moins tendance à admettre une source transcendante de l’autorité. Par contre ils ont tendance à faire confiance aux autres, à la société dans son entier.

Tocqueville montre donc que la démocratie est en devenir et que ce devenir comporte certains risques


Les dangers qui menacent la démocratie

L'individualisme

TII Partie 2 Chapitre II.

L'individualisme est un sentiment réfléchi et paisible, ce n'est pas une passion, mais un " jugement erroné".

Tocqueville reprend la comparaison entre la société aristocratique et la société démocratique pour montrer que, les liens de dépendance personnelle ayant été abolis, les influences individuelles n'existant plus, chacun" tourne tous ses sentiments vers lui seul". Coupé de sa famille, de sa classe et de sa tradition, chacun ne songe plus qu'à se suffire à soi même et abandonne le soin des affaires communes à l'état. L'individualisme" tarit la source des vertus publiques" ( P.125) parce que la République suppose la participation de tous à la chose publique. Or l'individualisme, c'est le repli de chacun dans sa vie privée, dans ses affaires familiales.

« La vie privée est si active dans les temps démocratiques si agitée, si remplie de désirs, de travaux, qu’il ne reste plus d’énergie ni de loisirs à chaque homme pour la vie politique. » (Chapitre III P.359) On vide de toute substance son statut de citoyen en refusant de participer aux affaires publiques.

L'individualisme ainsi décrit n'est pas une force, mais une faiblesse, chacun a tendance à surestimer le poids du tout social. "L'amour de la tranquillité publique est souvent la seule passion politique que conservent ces peuples" (Livre II Partie 4 Chapitre 3 - P.359) Les individus sont conduits à donner de nouveaux droits au pouvoir central. L'égalité produit donc une passivité qui permet à la majorité d'agir comme elle l'entend car on lui laisse prendre de plus en plus de décisions, et nous l'avons vu, le conformisme conduit à la soumission à la majorité.

L'individualisme s'appuie aussi sur l'amour de l'égalité matérielle. Les siècles démocratiques sont reconnaissables à leur amour des jouissances matérielles. TII Partie 2 Chapitre XI P. 166-167

"L' amour du bien être s'y montre une passion tenace, exclusive, universelle, mais contenue" (P.166) Si l'homme désinvestit la chose publique, ne souhaite plus être un citoyen, c'est parce qu'il se préoccupe de ses affaires. Pour lui, rien ne compte que son intérêt particulier. L'individualisme consiste donc à faire passer l'amour de ses propres affaires avant l'amour de la chose publique. Les sociétés démocratiques sont toujours en danger, parce que personne n'a vraiment le goût de l'intérêt général.

Tocqueville décrit donc l'apparition insidieuse du despotisme au sein des démocraties. Les démocraties son fragiles, par le désinvestissement de la chose publique, on risque de se retrouver dans un état totalitaire.

Le despotisme doux

TII Partie 4 Chapitre VI P. 385)

En général, l'influence de la démocratie sur les mœurs en accroit la douceur. Les hommes des sociétés démocratiques se sentent semblables et s'identifient facilement à l'autre. Ils ne rechercheront pas la souffrance de l'autre. le despotisme lui aussi peut être doux. La démocratie favorise l'individualisme et risque d'engendrer le despotisme: toujours plus d'individualisme, toujours plus d'état. Tocqueville brosse le portrait d'un nouveau Léviathan.

Il n'a pas besoin de régner par le glaive, il lui suffit d'aller dans le sens de l'infantilisation de ses concitoyens qui se démettent de plus en plus de leur responsabilité politique pour s'enfermer dans une vie de jouissance matérielle. On attend de l'état un renforcement de la tranquillité publique, sans voir la montée du despotisme. En Amérique, l'individualisme a été pondéré, les hommes ont maintenu des occasions d'agir ensemble. S'agissant des nations européennes, "On dirait que chaque pas qu'elles font vers l'égalité les rapproche du despotisme"Le souci de l'égalité risque de détruire la liberté. Tocqueville dénonce donc les excès du pouvoir et invite à responsabiliser les citoyens. Les temps démocratiques traduisent l'aspiration des hommes à l'égalité? Qu'en résulte -t-il pour leur liberté?


Le domaine de l’intervention de l’état ne cesse de s’élargir sous la pression du besoin de l’égalité. Tocqueville est libéral. Sous sa plume, c’est une critique. La société démocratique voit les individus s’abstenir, se désengager au profit de l’état. L’état se voit confier toujours plus de missions: éducation, charité, soins.

Tocqueville décrit alors un état central tout puissant, dépossédant les citoyens de leurs initiatives, de leurs énergies, les infantilisant. Il ne s’agit pas d’un état policier, mais d’un pouvoir cherchant le bonheur des citoyens, mais un bonheur ordonné, prévu, entretenu par le gouvernement et dispensant le citoyen de tout risque.

Débat : Faut-il plus ou moins d’état ? État octroyant la sécurité sociale, intervenant dans tous les domaines de la vie, dont chacun veut profiter?

Dois-je attendre de l'état qu'il fasse mon bonheur?