Préface sur le Traité du Vide - Blaise Pascal
Quelques remarques pour éclairer le texte, autour de quatre thèmes :
- Le principe d'autorité
- L’usage de la raison
- La conception du progrès
- Démonstration et raisonnement inductif
PASCAL 1623-1662. Pascal travaille à son traité du vide en 1651. Il ne sera publié qu’après sa mort.
Dans ce texte Pascal critique l’importance donnée par son époque à l’autorité des anciens.
Ses travaux sur le Vide lui ont fait contester l’autorité d’Aristote. Révérer l’autorité des Anciens, c’est mettre la raison en tutelle. Mais Pascal essaie de montrer qu’il n’y a pas lieu de tomber dans l’excès inverse et de rejeter en bloc toute autorité. Il y a des sciences d’autorité, droit, jurisprudence, histoire et surtout la théologie. Mais il y a aussi un domaine où l’autorité n’a pas sa place et c’est la science de la nature.
L’autorité (Voir Hatier La philosophie de A à Z) c’est la capacité d’exercer un pouvoir et de se faire respecter par autrui. L’autorité est le caractère d’une personne ou d’une institution possédant un certain ascendant sur les individus. On obéit à l’autorité par respect. Il ne s’agit pas d’une contrainte violente. Dire que les anciens font autorité, c’est dire qu’on professe un grand respect pour leurs écrits, et que ce respect va si loin que l’on s’interdit toute critique rationnelle.
Au XVIIème siècle, Aristote fait autorité en matière artistique: on s’appuie sur la Poétique d’Aristote pour énoncer des principes valant pour la comédie et la tragédie (« Art poétique » de Boileau ») Il fait autorité en physique: on reprend sa thèse d’une nature qui a « horreur du vide ». On fait de la médecine en suivant les textes de Galien. Les textes des anciens sont considérés comme des « oracles » dit Pascal, c'est-à-dire comme des paroles divines. Plus les textes anciens sont obscurs et incompréhensibles pour la raison, plus on les trouve valables. Le seul fondement d’un tel respect si on y réfléchit est la tradition qui a transmis ces textes. Le fait qu’un texte soit ancien suffit-il pour nous assurer de sa valeur ?
Il y a pour Pascal des sciences dont l’objet est le fait, ou l’institution divine ou humaine. Science dont l’objet est l’institution humaine: (ce qui a été posé par les hommes par convention): les langues, le droit, la jurisprudence. La raison ne peut que s’incliner. Il faut apprendre ce que les hommes ont décidé en matière de droit etc.…. Science dont l’objet est le fait: la géographie, l’histoire. Il faut apprendre ce qu’est le dessin de la terre. (Géographie). Pascal ne donne pas une dimension critique à l’histoire. Elle n’est pas pour lui critique de document. Il faut rassembler les faits par le biais des témoignages par exemple. (Les récits des témoins: La guerre des Gaules, c’est ce que César nous en dit). La théologie a pour objet l’institution divine: il faut y apprendre les lois que Dieu a posées et les desseins qu’il a formés pour l’humanité.
Certains objets sont hors de portée de la raison humaine , d'autres au contraire peuvent être connus par elle.
Pascal oppose la connaissance de la nature, qui s'appuie sur la méthode expérimentale et exclut la référence à l'autorité des anciens parce qu'elle est entièrement à la portée de la raison, à la théologie, dont l’objet est au delà de la portée de la raison, et qui s'appuie donc entièrement sur l'autorité des textes sacrés, (et de leurs interprètes reconnus, les pères de l'Église) même lorsque la raison ne peut pas comprendre les affirmations qui y sont contenues. Pascal considère que la raison humaine est corrompue par le péché originel et est donc devenue incapable de répondre à certaines questions morales ou eschatologiques (sur le sens de la vie humaine et sur ses fins dernières). Elle a besoin de l'éclairage de la grâce (lumière surnaturelle par laquelle Dieu éclaire les hommes.) La théologie est achevée. Il ne faut surtout pas innover en théologie: ce qu’il reproche aux Jésuites. Par contre la science est ouverte. Elle est à peine commençante au 17ème siècle, mais la raison appuyée sur la méthode expérimentale peut la faire progresser.
Remarquons que Pascal distingue clairement l'objet de la religion de l'objet de la science. L'homme n'a pas à chercher dans les textes sacrés une connaissance de la nature. Il ne peut y trouver que des valeurs morales ou des réponses à la question du salut. (Revoir 1’extrait des "Pensées" sur la justice: la raison humaine est incapable de penser le droit naturel et de définir "la véritable équité") Nous pouvons trouver dans ce texte un éclairage sur les conflits historiques qui ont existé entre la science et la religion. (Procès de Galilée en 1633) Galilée disait: "La religion me dit comment aller au ciel, et non pas comment va le ciel". Les conflits science-religion sont venus de ce que les autorités religieuses ont prétendu imposer une conception de la nature tirée des textes sacrés, ou plutôt d'une certaine lecture de ces textes. Le conflit sera le même à propos des théories de l’évolution (darwinisme au 19ème siècle). Pascal affirme très clairement que la science ne se soumet jamais à aucune autorité, qu'il s'agisse de l'autorité des anciens (Aristote à propos du vide) ou qu'il s'agisse de l'autorité de textes sacrés. Mais la science ne traite ni de problèmes moraux, ni des questions des fins dernières.
Donner trop d’importance à l’autorité des anciens, c’est s’interdire de penser le progrès. Ce texte est aussi une réflexion sur le progrès de l’humanité, mais un progrès (pas en avant) considéré ici comme progrès dans le domaine de la connaissance. Pascal ne parle jamais en termes de progrès juridique ou de progrès moral. Il affirme que la théologie est par ailleurs faite une fois pour toutes. Se borner à suivre les anciens, c’est placer la perfection en arrière. Qui refuse de penser le progrès de l’humanité rabaisse l’homme au rang de l’animal. L’animal est guidé par l’instinct pour satisfaire ses besoins. « Le mouvement occulte » qui guide les animaux, c’est la force cachée de l’instinct. Cette « science fragile », c’est celle de l’instinct, les animaux ne transmettent rien de leur expérience à leurs descendants. (Ou très peu dirions-nous aujourd’hui). Chaque génération nouvelle repart au même point.
Au XIXème siècle, Marx retrouvera des formules analogues pour définir l’homme comme un producteur et le distinguer de l’animal. L’architecte le plus malhabile sera toujours supérieur à « l’abeille la plus experte » parce que le projet qu’il forme et qui précède l’acte technique est conscient. Les techniques humaines peuvent ainsi se transmettre par tradition dans la culture. L’homme accumule de génération en génération: il est un être historique dira Marx. « L’homme n’est produit que pour l’infinité »: Pascal ouvre pour la connaissance humaine une perspective infinie. (NB: Même remarque, il ne parle pas de progrès moral ou politique. Voir par opposition l’analyse kantienne du progrès dans l’histoire, comme progrès vers la paix perpétuelle)
Pascal propose une image des progrès de l’humanité.
C’est l’image d’un développement harmonieux. « La suite des hommes, pendant le cours de tous les siècles … doit être considérée comme un même homme qui subsiste toujours et apprend continuellement »
Cette image donne une représentation harmonieuse d’un progrès par accumulation de connaissances. Pascal présente d’ailleurs les connaissances des anciens comme autant de premiers degrés qui ont servi de bases aux connaissances futures. Les anciens eux-mêmes ayant ajouté des connaissances à celles de leurs prédécesseurs. (Pascal fait remarquer là que les anciens eux mêmes n’ont pas eu le respect de l’autorité)
Cette image est discutable, elle est peut être même en contradiction avec la démarche propre de Pascal. Il rejette les travaux d’Aristote. De la science grecque on ne garde que les mathématiques et même pas l’astronomie. Cette image harmonieuse d’une humanité qui passe de l’enfance à l’âge adulte omet l’importance du moment de la négation et de la destruction des synthèses anciennes. Les anciens constituaient l’enfance de l’humanité: Pascal attribue leurs erreurs au caractère limité de leur expérience. Il souligne par exemple que la lunette astronomique a permis aux modernes de comprendre ce qu’est la Voie Lactée. C’est un assemblage de beaucoup d’étoiles, ce n’est pas une partie plus dense du ciel. Il ne faut donc pas dire que les raisonnements des anciens étaient plus défaillants que les nôtres. Il attribue les progrès de ses travaux sur le vide à la possibilité de faire de nouvelles expériences. Il suggère ainsi une conception empiriste de la science.
Le progrès n’est il pas plus dialectique que Pascal ne le dit ? La philosophie de l’histoire du 19ème siècle souligne l’importance de la négation et de la destruction dans le mouvement qui fait progresser l’humanité.
Démonstration et raisonnement inductif.
«Ils doivent être admirés pour les conséquences qu’ils ont tirées du bien peu de principes qu’ils avaient et ils doivent être excusés dans celles où ils ont manqué plutôt du bonheur de l’expérience que de la force du raisonnement. »
Pascal vient de développer une image du progrès: les anciens constituent l’enfance de l’humanité, ils ne peuvent jouer pour nous le rôle d’autorité intellectuelle. La fin du texte nuance pourtant cette critique des anciens. On voit que Pascal est quand même très respectueux à leur endroit. Il veut reconnaître leur mérite et insiste sur le fait que les lacunes de leur science correspondent à un défaut d’expérience et non à un défaut du raisonnement.
Il y a deux sortes de sciences:
- les sciences démonstratives (mathématiques) où on part d’hypothèses qu’on à faites et où on ne se préoccupe pas de la réalité.
- les sciences de la nature basées sur l’expérience
Lorsqu’il s’agit des sciences de la nature, l’expérience progresse en fonction du niveau technique des moyens d’observation Pascal dans les Pensées décrit la petitesse de l’homme pris entre les deux infinis. Son époque a inventé de nouveaux moyens d’observation: la lunette astronomique, le microscope. Pascal relie à ces inventions une nouvelle vision de l’Univers.
____________________ La Voie Lactée: Galaxie à laquelle appartient le système solaire. La Voie Lactée était déjà observée par les Anciens qui l'avaient nommée Galaxie à cause de l'aspect laiteux que présente dans le ciel cette bande de luminosité faible et irrégulière. Elle a été étudiée par Galilée, qui y distingua de nombreuses étoiles (1610) et Herschel qui en dressa le profil. C'est à Hubble que l'on doit d'avoir mis en évidence l'existence d'autres galaxies (1924). ___________________________
Pascal prend l’exemple des progrès de la connaissance de la Voie Lactée. Les anciens, faute de lunette astronomique n’avaient pas pu observer qu’il s’agissait d’un amas d’étoiles, ce qui apparaît à Galilée grâce à la lunette astronomique.
Il évoque ensuite une conception du monde des Anciens: la terre est le domaine de la génération et de la corruption, le monde des astres est au contraire un monde de la perfection immobile: c’ est le monde du divin. Pascal affirme au contraire que d’avantage d’observations ont permis à son époque de généraliser: tout l’univers est soumis aux mêmes lois;
L’erreur sur le vide vient, elle aussi, d’un défaut d’expérience.
Dans les sciences, il n’y a pas de vérité définitive: ce qu’on affirme est un résumé des expériences qu’on a faites. Y a-t-il nécessité des lois physiques ? On n’a jamais observé tous les cas possibles. « S’il restait un seul cas à examiner » écrit Pascal cela seul suffirait pour empêcher la définition générale. Pascal développe une remarque qui est celle de tous les empirismes. Le raisonnement dans les sciences de la nature disent les empiristes, est un raisonnement inductif.
L’induction, c’est un raisonnement qui tire des lois générales à partir de cas particuliers. Les conclusions d’un raisonnement inductif ne sont pas logiquement nécessaires.
En mathématiques, on peut conclure nécessairement parce qu’on ne fait que déduire à partir des points de départ qu’on s’est donnés. Pascal souligne que dans les sciences de la nature, au contraire, on n’ a jamais la possibilité de faire « une assertion universelle « ( c'est-à-dire de conclure pour tous les cas possibles). Toute vérité énoncée sur la base d’un raisonnement inductif est donc toujours susceptible d’être remise en question. Les erreurs des anciens viennent donc seulement d’une induction inachevée: ils n’ont pu observer que quelques cas. «la nature a horreur du vide dans toutes les expériences qu’ils avaient vues. » et Pascal ajoute, qu’on ne les contredit pas en disant qu’il peut y avoir du vide dans la nature. Les modernes ne font que tirer les conséquences de plus nombreuses observations.
Cette réhabilitation des Anciens n’est elle pas excessive? Les Anciens nous ont légué des mathématiques. Ils n’ont pratiquement rien légué en physique parce qu’ils n’avaient pas découvert et utilisé la méthode expérimentale. Or la méthode expérimentale ne se ramène pas à accumuler des observations. Il faut partir d’une question posée, d’un raisonnement théorique qui fait construire la situation expérimentale. (Voir l’extrait de la Critique de la Raison Pure de Kant). Sur la question du vide c’est ce raisonnement théorique qui a fait défaut aux anciens. Il a fallu penser que l’air pouvait être pesant, mettre en évidence l’existence d’une pression atmosphérique, ce qu’a fait Torricelli pour corrélativement mettre en évidence le vide. Peut-on seulement attribuer l’échec des Anciens à un défaut d’observation?
Par contre, il est vrai que les anciens ne sont pas responsables d’avoir imposé leur autorité. Il manquait aussi en Europe l’idée d’une méthode expérimentale, jusqu’à Galilée qui l’a imposée, et la science a été longtemps trop livresque (tirée de la lecture des livres des Anciens) La vérité, même nouvellement découverte, conclut Pascal, doit s’imposer.