Réflexion Ethique
La réflexion éthique
Introduction
L’éthique s’interroge sur les valeurs ou normes auxquelles l’action peut être référée. Il ne s’agit plus de dire ce qui est, mais ce qui doit être L’éthique est le lieu d’une exigence. L’homme s’interroge sur ses fins, ses buts, ce qui peut être la perfection de sa conduite.
L’étymologie peut nous servir de point d’appui
Ethikos : qui concerne les mœurs
Morale : du latin mores, les mœurs.
L’étymologie nous renvoie aux mœurs, pratiques d’origine obscure, transmises par la tradition, que leur ancienneté seule impose et fait respectables. On peut partir d’un niveau pré-réfléchi de la morale en constatant que la morale, c’est toujours d’abord la moralité des mœurs. Avant toute réflexion, l’individu sait toujours ce qu’il doit faire parce que la société le lui indique impérativement. Le « Tu Dois » moral, se présente comme un « Tu dois « social.Nous appartenons toujours à une société, à une communauté religieuse, à un groupe quelconque, et nous y puisons l’indication de ce que nous avons à faire, soit parce qu’il exerce sur nous une contrainte, soit par paresse et conformisme.
Le moment de la réflexion éthique, c’est le moment où l’homme s’interroge en conscience. Sous l’autorité de sa seule raison, chacun se pose par soi-même la question de ses fins.
Qu’est- ce que bien vivre, quelles sont mes fins ? Question grecque : quelle est ma nature d’homme, et comment l’accomplir au mieux. (Le souci de soi) L’homme qui prend en charge une réflexion se fixe des buts et essaie de tendre à les réaliser par lui-même. Cet accomplissement peut se faire dans la communauté politique ou hors d’elle ; (Platon et Aristote pensent encore que bien vivre, c’est vivre dans la cité. Stoïciens et épicuriens recherchent plutôt à vivre en autarcie, quelque soit le contexte politique.)
La question moderne est plutôt une question « Que dois-je faire. ? » Dois-je aller vers un accomplissement de ma nature, ou vers l’obéissance à des principes universels ?
Il s’agit alors de chercher à fonder ses propres règles de conduite.Ceci ne signifie pas nécessairement nier la valeur de la coutume. On peut choisir de manière réfléchie de souscrire aux règles de la société à laquelle on appartient.
Rappelons la démarche socratique. Lorsque Socrate invite au " Connais toi toi même ", il invite à s'interroger sur l'homme et sur sa vertu, c'est à dire sur l'excellence de sa conduite. Qu'est-ce que bien vivre, au sens de " Quel est mon accomplissement" ? (Revoir la Question du Ménon : Est-ce que la vertu s'enseigne ? Qu'est ce que la vertu ? )
Morale et moralité des mœurs, la camisole de force sociale
NB: Nietzsche emploie dans la Généalogie de la morale, l'expression de "camisole de force sociale", pour rappeler l'ancrage des comportements " moraux" dans la société.
La nécessaire intégration sociale
Le fonds de la vie morale, n’est- il pas le lien de l’individu au groupe et le sentiment qu’il a de lui appartenir ? Le sujet moral, tel que nous le définissons ne s’est pas encore découvert. Dans le monde animal, l'instinct impose à l'individu un comportement conforme aux normes du groupe. Dans le monde humain, l'habitude joue ce rôle en introduisant une solidarité entre les membres du groupe. Il faut "prendre des plis ". La vie sociale nous apparaît ainsi comme un système d'habitudes plus ou moins enracinées qui répondent aux besoins de la société. La société pénètre en chacun de ses membres. Le collectif renforce le singulier. On peut analyser en ce premier sens la notion de "devoir". La contrainte qu'exerce le groupe sur chaque individu est ainsi intériorisée.
Bergson dans " Les Deux-Sources de la Morale et de la religion" oppose la morale close à la morale ouverte. La morale close est caractérisée par l'enfermement de chaque individu dans le groupe.
La société est présente en chacun des membres du groupe, aucun ne saurait s'isoler d'elle. Robinson. "Si le moi individuel conserve vivant et présent le moi social, il fera isolé, ce qu'il ferait avec l'encouragement de la société toute entière" Le verdict de la conscience morale est celui que rendrait le moi social. Exemple les remords de l'assassin. (Crime et châtiment de Dostoïevski: le criminel réintègre la société en avouant son crime.
La difficulté de cette intégration
Peut-on trouver dans la nature de l'homme, des forces, des tendances qui le poussent à vivre en société? L'homme est-il au contraire par nature hostile à la vie en société.
Nous ne connaissons que l’homme vivant en société, donc déjà « cultivé » transformé par la société. On ne peut que spéculer sur ce qu’a été la nature de l’homme et en trouver des signes indirects.
Rousseau met au cœur de l'homme naturel deux instincts: l'amour de soi et la pitié.
Si l’on croit au contraire,trouver dans la nature de l’homme des penchants hostiles à la vie sociale: la sociabilité devient une conquête difficile.
La psychanalyse freudienne s'appuie sur l’étude des rêves et l’expérience historique.
Freud décrit l’homme comme « un loup pour l’homme » en reprenant une formule de l’Antiquité .
L’éducation est la période où l’on demande à l’enfant d’intérioriser les interdits sociaux, mais pour Freud, il ne s’agit pas seulement d’une « habitude » , il s’agit de la formation d’une instance qui s’impose au Moi, par le biais de mécanisme de l’angoisse de la perte d’amour et du sentiment de culpabilité .
Freud explique que l’agression que l’individu aurait volontiers tournée contre la société est retournée contre lui même.
La morale du Surmoi est tout le contraire d’une morale de l’autonomie .
L’individu s’abstient de faire quelque chose qui lui aurait fait plaisir en donnant satisfaction à ses pulsions les plus profondes parce que cela lui procurerait du déplaisir à l’égard d’une autre instance, qui est en lui et qui représente en lui l’intériorisation des interdits parentaux et sociaux .
Le fonctionnement du Surmoi échappe d’autre part à la conscience du sujet qui agit mais en « étant plutôt agi. »
Comment passer de ce niveau pré - réfléchi de la morale à un niveau réfléchi ? Il faut découvrir la nature sociale de la règle.
Comment peut naître cette critique ? L'histoire présente quelques exemples. Une société peut trouver une invitation à réfléchir sur ses pratiques en se heurtant à une autre société. Au 18ème siècle, l’Occident rencontre d’autres cultures et s’interroge sur lui-même. La relativité de la règle sociale apparaît à la conscience. Si cette règle est relative et contingente, que vaut-elle donc ?
En Grèce, les sophistes, intellectuels itinérants avaient pris conscience de la relativité des règles morales et leur donnaient le statut de convention.
Rappelons toutefois les écueils de la comparaison entre les cultures. ( Voir cours sur la Culture) Ces écueils nous amèneront à nous poser la question : peut-on découvrir ses règles morales dans l’expérience ?
Le préjugé ethnocentrique : la tendance à discréditer ce qui est autre, à se considérer comme seuls civilisés et à dire que les autres sont des barbares ou des sauvages.
L’idéalisation d’une autre culture. (Le mythe du bon sauvage). Diderot : « Les Suppléments aux Voyages de Bougainville » idéalise les mœurs tahitiennes en en faisant une expression directe de la nature : « Nous suivons le pur instinct de la nature. » fait -il dire au tahitien,choisissant de dire que la nature est supérieure à la convention sociale.
Nous avons tendance à critiquer nos règles sociales parce qu’elles pèsent sur nous et limitent notre action. Si nous appartenions à une autre culture, ces autres règles « nous paraîtraient aussi intolérables » Levi-Strauss
Comparer nos mœurs à d’autres mœurs nous en fait découvrir la relativité, le manque d’universalité. Nous comprenons alors la nécessité d’une norme qui vienne juger la coutume (nous dire où se trouve la meilleure), mais l’expérience ne produit pas elle-même cette norme. Ne faut-il pas en appeler à la raison plutôt qu’à l’expérience pour répondre à la question " Qu'est-ce que bien vivre" ou à la question « Que dois-je faire ? »
Ne peut-on réhabiliter la coutume, à titre de morale par provision ?
Si je décide de mener une entreprise raisonnée de réflexion, la question de l’urgence de l’action se pose à moi. Je ne peux pas me soustraire à l’obligation d’agir et donc de décider. On peut alors choisir de suivre la coutume, sans être dupe de sa nature.
Descartes, après avoir mené une entreprise de doute méthodique veut rebâtir l’édifice du savoir. La morale n ‘est qu’une branche tardive de l’arbre de la sagesse. Avant d’arriver à cette morale raisonnée il faut choisir une morale par provision.
Les principes de la morale par provision
Obéir aux lois et aux coutumes de son pays
suivre ce que font les mieux sensés ( tout en sachant bien qu’il peut y avoir des mieux sensés ailleurs). Question : « comment les reconnaît-on ? »
Se régler sur l’action et non sur les paroles, préférer les opinions les plus modérées, garder sa liberté de jugement, (ne pas se lier pour l’avenir.) Descartes semble se rallier à l’idéal d’honnêteté de son époque.
Mais, à d'autres traits, on reconnaît des éléments qui auront valeur pour l’avenir.
Etre le plus ferme et le plus résolu dans mes actions que je pourrai
Ce qui est qualifié moralement, c’est la volonté. (la forêt). Nous ne savons pas ce qui est vrai. Nous devons agir dans le probable, agir dans l’incertitude. Parfois nous choisissons entre deux termes également probables. La pire des choses serait de ne pas s’y tenir. Descartes juge que notre volonté est ce qui nous appartient vraiment, ce sur quoi nous avons du pouvoir. Notre connaissance par contre, au niveau de la morale par provision est loin d’être parfaite. Peut-être d’ailleurs en sera-t-il toujours ainsi. Ne suis-je pas condamné à agir sans que ma décision ait été parfaitement éclairée ?
Tâcher toujours à me vaincre plutôt que la fortune et à changer mes désirs plutôt que l’ordre du monde
Cette maxime d’inspiration stoïcienne souligne que seule ma volonté m’appartient en propre et l’usage que j’en fais. Ce qui est en mon pouvoir, ce sont mes pensées, mes jugements, disent les stoïciens, mais non pas l’ordre des événements qui est réglé par le destin. Ces principes sont compatibles avec la réflexion cartésienne sur la liberté de la volonté. Les principes de la morale par provision ne doivent donc pas être complètement coupés de la constitution de la morale définitive de Descartes. Il y a certes un choix réfléchi de suivre la coutume, mais on y perçoit également le souci de dire que le sujet moral doit se reconnaître comme sujet doté d’une volonté libre.
NB : Les stoïciens disent destin, mais Descartes, en chrétien pense que Dieu nous envoie ce qui nous arrive.
Employer toute ma vie à cultiver ma raison pour m’avancer autant que je pourrai en la connaissance de la vérité
Pour bien agir, il faut connaître ce qu’il est bon de faire et tenter de le faire. Au niveau de la morale par provision j’entame la quête de la connaissance, mais peut-être est elle par nature destinée à demeurer inachevée.
La morale dite "par provision de Descartes n'est pas une simple adhésion à l'ordre établi. Elle nécessite un exercice du jugement autonome.
Il faut choisir ceux qui nous paraitrons les "mieux sensés". Il nous faut aussi définir le juste milieu.
L'accent mis sur la fermeté de la volonté est aussi essentiel.Pour Descartes, seule la volonté, et l'usage que nous en faisons nous appartient vraiment. Tous les autres biens peuvent nous être aisément enlevés.Descartes retrouve ainsi des thèmes stoïciens.
Enfin,si l'action morale doit toujours être éclairée par la connaissance, Descartes souligne aussi dans sa morale définitive que l'homme n'étant pas omniscient, il est peut être condamné à agir toujours dans une relative incertitude.
Qu'est ce que bien vivre ? Être heureux? L'homme a-t-il une vocation au bonheur?
Si je connais ma nature, je puis savoir vers quoi je tends, dans quoi se réalise mon épanouissement.
Le souverain bien est-ce le bonheur ? N’est-ce pas un idéal difficile à déterminer ?
Tous les hommes désirent le bonheur, c’est une universalité de fait, tel est le constat d'Aristote. Le bonheur est une fin absolue, non relative. Toute activité tend vers un bien, la médecine vers la santé, l’activité militaire vers la victoire, mais tous les biens sont recherchés en vue d’un bien suprême, d’une fin plus haute qui est le bonheur. Le bonheur est recherché pour lui-même. Nous désirons être heureux pour être heureux. « Sur un nom, la plupart des hommes sont pratiquement d’accord, c’est le bonheur au dire de la foule aussi bien que des gens cultivés ; tous assimilent le fait de bien vivre et de réussir au fait d’être heureux. Par contre, en ce qui concerne la nature du bonheur, on ne s’entend plus, et les réponses de la foule différent de celles des sages ». Les Politiques
ARISTOTE interroge l’expérience. Les hommes situent le bonheur dans différentes sortes de vie : la vie de plaisir, la vie politique, la vie contemplative ou la vie tournée vers les richesses.
Peut-on préciser la nature du bonheur ?
Une première question se pose : le bonheur est –il un état stable, un état de paix intérieure ou d’absence de trouble ? Ou bien le bonheur admet-il l’instabilité le mouvement, le devenir ? L’enjeu des réponses à cette question, c’est la place du désir, des passions dans la vie heureuse, ainsi que la place du plaisir
Pour déterminer ce qu’est le bonheur, puis-je m’appuyer sur la connaissance théorique de ma nature ?
Si je m’assimile à un corps, si ce qui compte pour moi, c’est la partie sensitive de mon être, alors le bonheur peut-être identifié au plaisir, mais peut-on trouver dans une vie de plaisir une stabilité suffisante ?
Si l’homme c’est son âme, n’est-ce pas le savoir qui procure le bonheur ? La vie contemplative n’est - elle pas la vie heureuse ? Un idéal théorétique n’est - il pas trop élevé pour l"homme ? « Une vie de ce genre est trop élevée pour la condition humaine, car ce n'est pas en tant qu'homme qu'on vivra ainsi, mais en tant que quelque élément divin est présent en nous. " »Aristote Éthique à Nicomaque. (1177b 27)
Peut-on trouver le bonheur dans une vie de plaisir ?
Y a-t-il des tyrans heureux ?
Le tyran incarne la vie de plaisirs ou l’illimitation des désirs. Il fait ce qui lui plait parce qu’il n’est pas borné par la loi. Dans la République de Platon, l'interlocuteur de Socrate évoque l'apologue de Gygès le berger, qui découvrant son invisibilité, et (donc son impunité)se met à commettre toutes les exactions pour donner satisfaction à tous ses désirs. Ne réalise-t-il pas dans son comportement les voeux les plus chers de tous les hommes ? Socrate décrit le bonheur de l'homme juste, à l'âme tempérante. Ne faut-il pas lui opposer le bonheur dans une vie de satisfaction des désires déréglés ?
Texte : Discours de Calliclès dans Le Gorgias de Platon. Epithumia désirs déréglés, irréfléchis. ( traduit par passions)
Le désir, c’est un appétit, une tension., Le désir tend au plaisir, comme à la fin qui l’accomplit et qui substitue la jouissance à la tension initiale.
Pour Platon l’expérience du désir semble porter atteinte à la maîtrise de soi. Dans le désir, c’est le corps qui revendique son hégémonie. (Rép Livre IV : Léontios et les cadavres étendus sur le lieu du supplice) « Le corps nous remplit d’amour, de désirs, de craintes, de chimères de toutes sortes, … d’innombrables sottises, si bien que, il nous ôte vraiment et réellement toute possibilité de penser. Guerres dissensions, batailles, c’est le corps seul et ses appétits qui en sont la cause. (Phédon, 66a 67a) Socrate invite à une maîtrise des désirs.
Or Calliclès revendique justement une libération des désirs et considère que le souci de la tempérance n’est que l’expression des lois de la cité. La nature au contraire veut qu’on laisse prendre à ses désirs toute l’extension possible au lieu de les réprimer. (Opposition sophistique de la nature et de la loi.)Le bonheur est alors la multiplication des désirs, vécue sans frein. « Laisser prendre à ses passions toute l’extension possible. » Le tyran fait ce qui lui plaît parce qu'il est au dessus des lois.
Calliclès se définit comme un aristocrate. Il appartient au petit nombre des meilleurs. Il a le courage et l'intelligence pour donner satisfaction à tous ses désirs, à mesure qu'ils éclosent. Pour lui, les lois de la cité qui prônent la tempérance sont faites par les faibles, par ceux qui ont peur des conflits et souhaitent se protéger des plus forts. C'est la convention de la cité. La morale de la tempérance est pour Calliclès hypocrite, et lui se présente comme celui qui ose dénoncer cette hypocrisie. Lui en appelle à la loi de la nature qui selon lui veut le triomphe des forts. La position de Calliclès est forte, car il y a pour lui une double hiérarchie de valeurs.
Platon discute la thèse de Calliclès. A propos du tyran, il pose la question : " Il fait ce qui lui plait " "Fait-il ce qu’il veut ? " Si toute volonté vise le bien, le tyran, l’homme du bon plaisir, fait-il véritablement son bien ? Platon présente le tyran, comme l'homme qui se trompe sur la détermination de son bien.
Discussion sur la possibilité de trouver le bonheur dans la satisfaction des désirs.
L’homme du désir ne se gouverne pas lui – même. Le tyran soi- disant apte à gouverner l'état ne se gouverne pas lui même ?
Socrate décrit l’âme du passionné est comme un tonneau percé : « On préfère une existence inassouvie à une vie réglée contente et satisfaite. » Calliclès rétorque que l’homme au tonneau plein n’a plus aucun plaisir. L’agrément de la vie est de verser le plus qu’on peut.
Le plaisir n'est pas pour Platon un état stable : tout plaisir suppose une douleur : il faut avoir faim pour manger. Tout besoin et tout désir sont pénibles. Manger quand on a faim, boire quand on a soif. On ressent en même temps du plaisir et de la douleur, mais on ne peut être en même temps heureux et malheureux. Le plaisir et la peine cessent en même temps, pas le bonheur et le malheur. (On cesse d’avoir faim et de ressentir le plaisir de manger.) Le plaisir n’est donc pas le bonheur.
D'autre part si le plaisir est identifié au bien, on met sur le même rang tous les plaisirs, parce qu’on n’a plus la possibilité de discerner entre eux. Le plaisir du tyran équivaut au plaisir du galeux qui se gratte.
Les plaisirs mesurés
La démarche d'Epicure : réhabiliter le corps et trouver une mesure au plaisir.
Instabilité, illimitation : telles sont les grandes objections faites à ceux qui veulent trouver le bonheur dans une vie de plaisirs.
Ne peut-on pas les lever ? Les plaisirs ne peuvent-ils pas trouver une mesure ?
Voir analyse développée de la lettre à Ménécée.
La satisfaction des désirs naturels n’est pas déraisonnable, La vie heureuse est une vie de plaisirs mesurés, seuls les désirs illimités sont à condamner, mais corps fournit lui - même une limite.
Pourquoi refuserait-on de discréditer le corps ou de lui donner une place subordonnée ? Quelle est la perfection de la vie heureuse ?
« Une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’âme. C’est là la perfection même de la vie heureuse ».
Le corps est réintégré ( la sensation est prise pour règle : canon)« Ce sont nos affections qui nous servent de règle pour mesurer et apprécier tout bien quelconque, si complexe soit-il » La sensation est prise pour base de la canonique épicurienne. Sans elle, il ne nous resterait aucun critère pour juger. De ce que nous ressentons dans le corps, il suit que le plaisir est à rechercher, la douleur est à fuir.
« Le plaisir est le principe et la fin de la vie bienheureuse » Principe : nous en partons pour dire ce qu’il y a à rechercher ou à éviter. Fin : c’est notre but, ce vers quoi nous tendons ; Arke : ce qui commande - Telos : accomplissement et but.
Selon les textes : « Tout plaisir est un bien, toute douleur est un mal. » Dans la Lettre à Ménécée, on introduit l’idée que selon les circonstances, la recherche de plaisirs pourrait nous apporter plus de douleur. Le sage fait un calcul raisonné pour choisir entre les plaisirs. Epicure en réponse au discrédit jeté sur la recherche du plaisir essaie de montrer que le plaisir peut être stable, qu’il n’est pas indéfini. La perfection stable est à notre portée. Le plaisir suit la douleur, mais l’exclut. Il est absence de douleur et peut donc être plénitude.
Maxime fondamentale III « La limite de la grandeur des plaisirs est l’élimination de tout ce qui provoque la douleur »
Le plaisir est absence de douleur. La douleur est un manque. Nous éprouvons du plaisir quand ce manque est comblé. La limite du plaisir est la privation de toute douleur. Le rejet de la douleur est le bien suprême lié à notre constitution.
Le plaisir est catastématique : stable.
Aponie : absence de douleur pour le corps. Ataraxie : absence de troubles pour l’âme.
Les deux sont unis. Quand la douleur est supprimée, nous ressentons immédiatement la plénitude qu’est le plaisir. L’évacuation de la douleur est pour les épicuriens une plénitude.
(Calliclès aurait dit qu’il s’agissait là d’une vacuité insaisissable. L’homme au tonneau plein est comme pétrifié.)
Bonheur et rectitude de la volonté : l'analyse stoïcienne
La vision stoïcienne du monde s’appuie sur l’idée de destin. Le destin, c’est l’ordre nécessaire (il ne peut en être autrement) des événements.
Il est divin et bon
Les stoïciens pensent qu’on ne peut rien changer à cet ordre nécessaire mais que donner son adhésion à cet ordre c’est adhérer au divin, à ce qui est raisonnable.
Une distinction essentielle est opérée entre :
Ce qui dépend de nous ou ce qui est à notre portée : ce sont les 3 activités de l’âme :
- désir ou aversion
- impulsion à agir ou à refuser d’agir
- assentiment que nous donnons à nos représentations (jugements)
Ce qui ne dépend pas de nous ou ce qui est hors de notre portée. (À partir de nous et en s’éloignant)
- le corps.
- les objets matériels : l’avoir.
- tout ce qui vient des autres hommes (opinions, honneurs, dignités)
- tout ce qui vient du cosmos.
Le but de la recherche stoïcienne est indiqué : il s’agit d’être heureux, le bonheur étant l’absence de troubles.
Nous pensons la liberté comme une liberté d’action : il s’agit de transformer le monde. Les stoïciens définissent la liberté comme une liberté intérieure. Seule ma volonté est en mon pouvoir : il est en mon pouvoir de donner mon adhésion au destin ;
« Ce qui est à ma portée est par nature libre, sans empêchement, sans entraves » ….
Mes jugements dépendent de moi.Ils déterminent nos désirs et nos actions.
Cette tempête n'est pas redoutable en elle même, c'est moi qui la juge redoutable. Ce jugement de valeur que j'énonce risque de provoquer une passion.
La mort n'est pas redoutable en elle même, Socrate ne la jugeait pas ainsi.
Dans sa prison, il console ses amis, apprend à jouer de la flûte. (Les Stoïciens prennent souvent l'exemple de Socrate ( qui est antérieur au stoïcisme), comme exemple de liberté intérieure du sage.
Epictète délimite le domaine qui nous appartient en propre, la citadelle intérieure dans laquelle rien ne peut nous atteindre.
« Personne ne te contraindra. Personne ne t’empêchera, Personne ne te fera de reproches »
Il ne faut donc pas mélanger les deux ordres, penser que ce qui est hors de notre portée peut dépendre de nous. « Si tu estimes libre ce qui par nature est esclave et propre ce qui est étranger »
Les biens qui donnent la liberté et le bonheur sont ceux sur lesquels on peut exercer une maîtrise.
Le stoïcisme invite à discipliner ses désirs.
On peut dans le Manuel d'Epictète trouver deux paraboles qui permettent de pénétrer l'esprit du stoïcisme.
La parabole de l'escale
Elle conseille sous forme imagée à ne pas s’attacher aux personnes qui nous sont chères, parce que ce ne sont que des dons provisoires.
On peut parler de métaphore ou d’allégorie. L’allégorie est une métaphore prolongée (mot fait de allos et agora = s’adresser à l’autre sur la place publique)
L’escale d’un navire dans un port est comparée à la vie humaine.
« Il en est de même dans le voyage en cette vie » ou « ainsi également dans la vie »
La conduite dans la vie humaine peut être comparée à celle qui nous semble nécessaire pendant l’escale ;
Le navire, c’est le monde
Le pilote ou la capitaine c’est Dieu
La sortie du navire, l’escale souligne le caractère provisoire de l’existence humaine.
Si on parle du matelot qu’on va ficeler s’il ne répond pas à l’appel, c’est qu’il y a une discipline militaire (Chaque homme doit considérer qu’il a une mission à accomplir, on lui a confié un poste. C’est un thème socratique : rester ferme là où Dieu nous a mis.)
L’appel correspond à la mort. C’est l’appel de dieu ou du destin
Le navire, c’est bien le tout du cosmos d’où l’on provient et ou l’on retourne.
Pendant l’escale, on va refaire la provision d’eau, mais de petites choses peuvent être ramassées en passant.
Les petites choses, ce sont les personnes auxquelles nous nous attachons. (En grec les mots comprennent un diminutif dépréciatif, pour exprimer que ce sont bien des petites choses ou pour exprimer le peu de valeur de notre attrait)
Il faut abandonner femmes et enfants quand résonne l’appel du capitaine, c'est-à-dire au moment de la mort.
Considérer femmes et enfants comme de petites choses avec lesquelles on joue, c’est de la démence, et pourtant, si l’on se replace dans la perspective de la physique stoïcienne, c’est une conduite raisonnable.
Le stoïcisme utilise le paradoxe (para-doxa = à côté de l’opinion commune), c'est-à-dire des propositions qui choquent et heurtent l’opinion courante, pour redresser notre jugement, il s’agit d’aller de manière exagérée dans l’autre sens. On utilise des formules frappantes pour faire prendre conscience des changements radicaux à adopter.
Il s’agit de trouver un équilibre entre attachement et détachement.
La parabole du banquet
Ce qu’on peut désirer recevoir du destin, ce sont les plats qu’on présente dans un Banquet
La vie est comparée à un Banquet offert par les dieux
La politesse au Banquet, c’est la discipline du désir, on se sert avec modération, on laisse le plat repartir, on attend son tour.
Dans l’escale, les objets du désir sont donnés par hasard, ici, ils sont donnés par les dieux
Epictète s’adresse à des hommes qui mènent une vie de citoyens, ont une famille, sont riches. Etre le digne convive des dieux, c’est faire la différence entre ce qui dépend de nous et n’en dépend pas. Les dons des dieux sont des dons provisoires, des prêts auxquels ont peut être appelés à renoncer.
Dans cette parabole, il y a, par rapport à la parabole de l’escale, un degré supérieur dans la progression du philosophe.
Le vrai philosophe refuse de toucher aux plats, il méprise les choses indifférentes et renonce à tout désir des choses indifférentes.
Les références : Diogène, Héraclite.
Héraclite : (philosophe présocratique) sans doute en fonction d’une anecdote qu’on rapportait. Pour montrer qu’il faut se passer du luxe, il mélange de la farine d’orge dans de l’eau et l’avale.
Le philosophe passe ainsi du rang de convive des dieux au rang d’égal des dieux.
On distingue deux attitudes :
L' homme qui participe à la vie sociale, a des devoirs, ne peut être insensible, mais doit avoir un détachement intérieur, être toujours prêt à abandonner ce à quoi il tient.
L'homme qui refuse de participer au Banquet de la vie.
Le Cynique n’a ni femme, ni maison. sa mission est de dénoncer les vices (il aboie comme un chien aux talons de ses contemporains.
Les stoïciens distinguent le Vrai Bien des indifférents . Vie familiale, vie sociale, richesse, ne sont pas des biens , mais des indifférents.
Ils peuvent m'être ôtés par le destin dans faire mon malheur.Le Vrai BIen, est ce qui m'appartient en propre, la rectitude de ma volonté.
L'idéal cartésien de générosité : faire une place aux passions dans la vie heureuse
Descartes réfléchit dans le cadre du dualisme qui pour lui a été voulu par Dieu: si l'homme est âme et corps , la passion ne peut être entièrement condamnable.
Il faut s'arrêter au sens donné par Descartes au mot passion.
La passion renvoie à tous les phénomènes passifs de l'âme, à ce que nous appelons émotion, sentiment et à l'idée d'une mobilisation de tout le psychisme autour d'un thème dominant(ce qui serait le sens plus moderne de la passion)..On trouve ainsi une liste des passions fondamentales : Admiration, amour, haine, désir, joie, tristesse, assorties de passions dérivées : peur mépris, orgueil, honte, ennui, générosité, courage, allégresse, gloire..
- L' émotion : être ému, mu hors de soi : effet de réaction physiologique immédiat à une situation (la peur, la colère)
- Le sentiment a un aspect plus durable : l'amour, la haine.
- La passion comme dérégulation du sentiment, sentiment devenu excessif qui envahit tout le psychisme, rupture d'équilibre. L'avare ne songe qu'à son or, le joueur qu'à son gain.
Le surgissement de la passion est involontaire : (Phèdre traduit ceci en attribuant aux Dieux la genèse de sa passion "Je reconnus Vénus et ses feux redoutables" et la question sera de mesurer la puissance de la volonté sur les passions. (Si l'on se place dans la perspective d'une philosophie du libre-arbitre.)
Au 19 ème siècle, on retiendra surtout ce troisième sens de la passion. Hegel décrit les grands passionnés, acteurs de l'histoire( César, Alexandre, Napoléon)
Même si la passion unifie une existence autour d'une tâche(passion ambitieuse de Napoléon), il ne faut pas oublier qu'il y a en elle cette démesure qui en fait une quête jamais satisfaite et jamais maîtrisée qui entraîne le passionné vers une issue fatale.
La passion symptôme de l'union de l'âme et du corps.
L'âme pâtit du fait de son union avec le corps.Amour, joie, tristesse..les passions sont des "sentiments,perceptions,émotions qui sont causés, entretenus et fortifiés par quelque mouvement des esprits animaux."(Descartes.Traité des passions) dans le mécanisme cartésien, c'est le corps "qui se désordonne", et l'âme s'en voit troublée. Dans la peur, mes jambes s'entrechoquent et disposent mon corps à fuir, sans que mon âme y soit pour rien
En tant que messages de l'union de l'âme et du corps, les passions ont une fonction d'équilibre vital.
Descartes considère que Dieu qui a construit l' union n'a pas voulu que nous soyons toujours trompés.On peut donc accorder une certaine confiance aux messages de l'union. La définition des deux grandes passions fondamentales dit cette fonction d'adaptation:
Art52 'lorsqu'une chose apparaît comme bonne à notre égard, nous avons pour elle de l' amour,et si elle apparaît nuisible de la haine.
Art 53 "Avant de savoir si un objet nous est convenable ou non, nous sommes surpris" (étonnement ou admiration)
Il faut noter l'emploi du mot apparait. L'enracinement organique peut expliquer la part d'erreur contenue dans la passion . L'objet peut ne pas être le "bon objet", et nous éprouvons quand même de l'amour.
L'aspect "subi" de la passion peut être lié à des habitudes anciennes avec tout ce que cela peut impliquer de faux jugements enracinés dans l'enfance.
Ainsi, le jugement de convenance(l'objet est bon ou nuisible) peut-il être mal fondé parce qu'il est faussé par d'anciens souvenirs.
Lettre à Chanut 6 Juin 1647.(La petite fille un peu louche)
Descartes accorde une place à l'enfance, au passé dans la genèse des passions. Le passionné est d'une certaine manière victime d'un passé qui lui a désigné des objets d'amour et de haine qu'il recherche encore dans le présent. Il y a donc une part d'erreur dans la passion, une part d'aveuglement sur soi même, de moindre conscience.(mais pas d'inconscience) (Alquié Le désir d'Eternité)
Les passions ont donc une finalité vitale, avec quelques erreurs, et souvent elles nous poussent à rechercher les biens et à fuir les maux avec plus d'ardeur qu'il n'est convenable.
Du bon usage des passions
* Calliclès accepte l'absence de satiété et revendique une vie passionnée
*Stoïciens et épicuriens condamnent les passions au nom d'un bonheur stable.
*La voie moyenne essaie de faire des choix entre les passions, de ne pas toutes les condamner, de montrer qu'elles peuvent avoir de la valeur si on les dépouille de certains de leurs aspects erronés.
*Descartes retient la leçon stoïcienne : seule notre libre-arbitre et l'usage que nous en faisons nous appartient véritablement. C'est le seul bien qui soit vraiment nôtre. Les stoïciens lui paraissent cependant faire preuve d'orgueil en affirmant la toute puissance directe de la volonté sur les passions. Ils lui paraissent nier l'importance du corps en affirmant qu'on peut être heureux même si aucune de nos tendances naturelles n'est satisfaite : leur vertu est trop "austère".
Nous ne sommes pas pur esprit, lorsqu'il s'agit de connaître, il faut se méfier du sensible, mais le corps n'est pas à mépriser. les passions font l'agrément de la vie. "C'est en lui seul (l'usage des passions) que je mets la douceur et la félicité en cette vie"(A Newcastle. Mars ou Avril 1648)
"Les hommes que les passions peuvent le plus émouvoir sont capables de goûter le plus de douceur en cette vie. Il est vrai qu'ils y peuvent aussi trouver le plus d'amertume lorsqu'il ne les savent pas bien employer. Mais la sagesse est principalement utile sur ce point, qu'elle enseigne à s'en rendre tellement maître et à les ménager avec tant d'adresse, que les maux qu'elles causent sont forts supportables et même qu'on tire de la joie de toutes. "( Traité des PassionsArt 212 )
Epicure n'avait pas tort de réhabiliter le corps et de lier le bonheur comme paix de l'âme à la satisfaction du corps.
"Il n'enseigne pas la débauche "écrit Descartes, mais"il n'enseigne pas non plus la vertu", parce qu'il a cru que le bonheur dans la jouissance de plaisirs limités était le souverain bien.
Ce bonheur n'est qu'une récompense du souverain bien. Descartes ne pense pas que l'on puisse être vertueux seulement par devoir(Voir sur ce point la position kantienne). Il considère que l'homme a besoin de l'attrait d'une récompense pour tenter d'être vertueux. Seul cet attrait fait que nous tentons de tirer notre flèche vers le but. Descartes réinterprète la métaphore stoïcienne de l'archer.
Qu'est ce que le bon usage des passions ?
Notre volonté n'a pas de pouvoir direct sur notre corps : en ce sens là non plus, nous ne sommes pas comme un pilote en son navire. La volonté n'influe pas directement sur les phénomènes physiologiques.
Art 44 La prunelle.
Art 45 :Nos passions ne peuvent pas aussi directement être excitées, ni ôtées par l'action de la volonté"
Il faut ruser avec ses passions, inventer des détours, il faut connaître le détail du mécanisme pour ruser avec lui On peut défaire les associations anciennes, (la petite fille un peu louche) se dresser soi même comme on dresse un chien. (Art. 50)
On peut lutter contre l'inertie passionnelle en suscitant une habitude contraire. On peut, contre une passion exciter une passion contraire. (Art 45 )
Contre la peur, on peut éveiller le sentiment de la gloire et de la joie qu'on aura à avoir vaincu. (voir Lettre à Elizabeth- sur la colère et la vengeance -extrait étudié)
On peut faire travailler le temps :
"S'abstenir de porter un jugement sur l'heure et se divertir par d'autres pensées jusques à ce que le temps et le repos aient entièrement apaisé le feu qui est dans le sang " (Art144 et 146)
On n'est pas obligé de consentir à sa passion, même si on n'en a pas contrôlé le surgissement.
Quel principe conduit ce bon usage ?
L'imagination"trompe l'âme"(art211) aux raisons fausses, fortifiées par l'élan passionnel, la volonté peut opposer des jugements fermes et déterminés touchant la connaissance du bien et du mal. En me vengeant, j'imagine conquérir une supériorité sur l'autre. La raison me montre que ma vraie supériorité réside dans le fait de se maîtriser soi même et de s'abstenir de se venger.
Qu'est ce que le souverain bien ?
"La principale perfection de l'homme est d'avoir un libre-arbitre, et c'est ce qui le rend digne de louange et de blâme" (Principes 1ère Partie)
Le libre arbitre est un pouvoir absolu de décider, mais il y en a un bon et un mauvais usage.
"Et je ne vois point qu'il soit possible d'en disposer mieux que si l'on a toujours une ferme et constante résolution de faire exactement toutes les choses qu'on jugera être les meilleures et d'employer toutes les forces de son esprit à les bien connaître. C'est en cela que consistent toutes les vertus...enfin c'est de cela seul que résulte toujours le plus grand et le plus solide contentement de la vie., aussi j'estime que c'est en cela que réside le souverain bien "(A Christine de Suède 2O Novembre 1647)
La fermeté de la résolution d'exécuter ce que la raison conseille, telle est la vertu. Nous ne sommes pas omniscients. S'il advient qu'ultérieurement nous reconnaissons que nous nous sommes trompés, nous n'aurons pas démérité.
La générosité :
La permanence du libre-arbitre est une telle merveille que sa considération donne toujours de l'admiration.(Art 16O) Qui use bien de son libre-arbitre tourne à bon droit cette admiration vers lui-même. Il s'estime au plus haut point, et cette estime de soi lui procure un contentement stable. La générosité est une passion dérivée de l'admiration.
Généreux (de bonne race, noble, mais ici d'une noblesse qui n'est pas une noblesse de naissance )La générosité est accessible à chaque homme ."Toutes les âmes ne sont pas également fortes, mais une bonne institution peut corriger les défauts de la naissance"
Le généreux, allie l'indépendance du sage stoïcien à une sensibilité passionnée qui combine les mouvements "de l'admiration, de la joie et de l'amour, tant de celle qu'on a pour soi que de celle qu'on a pour la chose pour laquelle on s'estime"(Art16O)
Le généreux ne dédaigne pas la gloire qui vient"de l'opinion et de l'espérance qu'on a d'être loué par plusieurs autres. (Art 2O4)
Descartes choisit donc de qualifier moralement la rectitude de la volonté. Il reconnaît que notre connaissance n'est peut être jamais assez grande pour nous permettre de choisir sans nous tromper,.mais ce n'est pas la perfection objective de l'acte qui est essentielle.
On reste dans la perspective de l'eudémonisme antique, mais le souverain bien n'est cependant pas le bonheur (Descartes dit béatitude)
Le bonheur est la récompense de la rectitude de la volonté, c'est l'attrait qui nous fait nous efforcer sur le chemin de la vertu .Ce bonheur n'est pas exempt de passion. Descartes construit donc une idée de la sagesse qui réconcilie bonheur et passion. La passion n'est pas un esclavage, on peut parvenir à en bien user.
Nous avons exploré la voie de l'eudémonisme. (prendre le bonheur comme fin) Il nous reste à nous demander pourquoi on peut contester le choix d'une telle fin, et dire par exemple que l'homme ne doit pas chercher à être heureux, mais à se rendre "digne du bonheur"
Conclusion : le bonheur idéal de la sensibilité : l'accord ne peut se faire autour d'une conception du bonheur.
Il est aisé de montrer que les eudémonismes antiques ( philosophies qui font du bonheur le souverain bien) se contredisent.
Nul ne sait vraiment ce qu'est le bonheur. Tous les hommes désirent le bonheur. C'est une universalité de fait. Mais les hommes sous le nom de bonheur désirent des choses variables. Les moralistes antiques ont pensé pouvoir définir le bonheur de manière absolument stricte et les moyens d'y parvenir rigoureusement. Kant souligne plutôt que sous le nom de bonheur les hommes essayent de penser la satisfaction totale de toutes leurs inclinations sensibles et une satisfaction durable. Or, dans ce tout, il peut y avoir des éléments contradictoires - on peut désirer la santé et une longue vie, on peut désirer une vie matérielle confortable mais non les tracas du travail - et nous ne sommes pas omniscients au point de pouvoir penser toutes les conditions qu’il faudrait parvenir à réunir pour réaliser ce tout. (Voir texte de Kant) On imagine donc le bonheur, mais on est incapable d'en forger un concept clair. Le bonheur dit Kant est un "idéal de l'imagination".
Les sensibilités sont d'autre part subjectives. Chacun peut ressentir différemment l' épanouissement de la sensibilité désiré. Si je recherche des valeurs morales incontestables, faisant l’accord des esprits, visant l’universalité, prendre le bonheur pour fin me fait manquer mon but. L’argument atteint de manière décisive les eudémonismes.
Kant refuse de dire que l'homme doit prendre le bonheur pour fin. (CF Fondements de la métaphysique des mœurs,) en usant en outre d’un argument finaliste Le bonheur pourrait être assuré par le seul instinct, sans réflexion. L'instinct adapte sans faille les moyens aux fins. On pourrait imaginer un monde où l'on n'aurait pas besoin de raison pour agir. Dans notre monde nous avons une raison pour agir, une raison technicienne. C'est que nous avons une autre fin que le bonheur. La raison est liée à la conscience, qui peut être source de malheur. Je prends conscience de mon rapport au monde, de là naît l'inquiétude. Kant considère plutôt que la raison nous éloigne du bonheur. L'instinct vaudrait mieux que la raison
La raison construit en outre une civilisation technicienne qui va à l’encontre du bonheur. Kant ne croit pas au rêve des Lumières : le bonheur par le progrès des techniques. Plus l'homme use d'une " raison cultivée", plus il semble s'éloigner du bonheur " du véritable contentement". Il en viendrait à une "haine de la raison", il en viendrait à envier les peuples qui n'ayant pas choisi de développer les techniques et les sciences semblent plus heureux. ( les sauvages des mers du Sud). En outre, lorsque Kant propose une image d'une humanité heureuse dans l'"Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique", il évoque les pacifiques (et mythiques )Bergers d'Arcadie. Mais il ajoute aussitôt que leur vie n'a guère plus de valeur que celle de leurs troupeaux. L'humanité a la sensibilité en partage avec l'animal, mais les hommes sont aussi doués de raison. pour Kant cette raison est le fondement de la dignité de l'homme. Il faut prendre pour fin, non le bonheur, mais le développement de cette raison.
Kant assigne donc à l’homme une fin qui lui paraît plus haute que le bonheur : ne sommes nous pas fait pour développer notre raison, au sens intellectuel, certes, mais surtout au sens moral ?
L'homme a-t-il une vocation à la rationalité ?
Préambule : l'idée d'une raison pratique :
La raison pour tous les philosophes rationalistes est le pouvoir de la pensée correcte : raisonner c'est enchaîner des arguments en respectant des règles ( non- contradiction par exemple) Kant donne à la rasion un pouvoir pratique : elle donne ses règles à l'action. Notre raison est raison pratique, législatrice a priori de la règle morale. C'est le principe de l'autonomie du sujet moral. Cette raison est universelle, et on peut trouver en elle l’universalité recherchée pour échapper aux contradictions des eudémonismes. Il n'y a pas besoin de culture pour être moral, mais la conscience commune peut être amenée, non pas à mieux juger moralement, mais à mieux comprendre ce qu'elle fait quand elle juge moralement.
La bonne volonté :
La perfection morale n'est plus dans l'excellence objective de la conduite (chère aux moralistes grecs).
La conscience commune prend toujours comme règle la bonne volonté quand elle veut juger les actes humains de façon morale. C'est la volonté qui a présidé à l'acte qui est jugée moralement. La moralité ne consiste pas dans l'étendue de nos connaissances, mais dans la rectitude de la volonté.
La bonne volonté est la volonté soumise à la loi pure de la raison, la volonté d'agir par respect pour la règle morale(et non simplement conformément à)Il sera très difficile de juger de la moralité d'une action ( même lorsqu'il s'agit de nos propres actions). Nous connaissons mal les intentions qui ont présidé aux actes. Nous même sommes toujours susceptibles d'agir par égoïsme, ou par calcul d'intérêt sans nous en rendre vraiment compte. (Ex : conservons-nous notre vie par intérêt ou par devoir ? EX2 L’épicier qui fait payer le juste prix)
Intention ne signifie quand même pas velléité.
NB : l'état ne peut juger que nos actions : un état peut il envisager de nous rendre moraux ?
La loi morale se présente à nous comme un impératif, comme un devoir
Kant pense que toutes les facultés humaines se réduisent à deux : la faculté sensible d'une part, la raison d'autre part. Il estime que la sensibilité se réduit à l'amour de soi et à l'égoïsme. La raison en tant que principe d'universalité contraint la sensibilité. La règle de la raison pratique nous apparaît donc comme un impératif.
NB Kant ne considère pas qu'il puisse y avoir un sentiment moral (comme le pensaient les moralistes anglais)
Notre volonté n’obéit pas spontanément à la loi morale, mais elle doit se contraindre ; « nous sommes membres législateurs d’un royaume moral, mais nous en sommes les sujets et non les souverains. »
Les impératifs de la raison pratique sont catégoriques :
Certains impératifs sont hypothétiques : si tu veux te réchauffer, allume un feu. Ils présentent l’articulation de moyens à une fin qui n’est pas nécessaire en elle-même.
L'impératif catégorique est l'impératif qui représente l'action comme nécessaire en elle-même, sans rapport avec un but quelconque. L'impératif porte sur ce qui doit être. Il est donné à titre de fait de raison au sein des jugements portés par toute conscience morale, mais ces jugements sont de simples exigences de notre raison dans son pouvoir pratique.
Aucune expérience ne peut nous montrer l'impératif moral. La moralité est, elle, une chimère, une simple illusion ?
Kant veut fonder la moralité sur la raison, sur ce qui est universel en l'homme. Est-ce possible ?
Kant ne doute jamais que la bonne volonté soit le seul bien absolu, mais de cela nous ne pouvons conclure qu'elle existe en l'homme. Mais même si l'impératif catégorique n'est pas au principe d'actions réelles, notre jugement dépasse notre nature et affirme a priori la moralité. Pascal disait : je suis misérable, mais se savoir misérable, c'est être grand. Kant affirme : je suis de part en part égoïsme, mais je sais que seule vaut la bonne volonté. La disqualification de la nature est définitive, mais disqualifier la nature n'est pas ruiner la morale.
Encore faudra-t-il montrer que l'impératif peut commander effectivement nos actions.
Quelles formules prend la loi du devoir pour commander l'action humaine ?
Si l'impératif catégorique est purement rationnel, on doit pouvoir déduire de la seule raison les caractères qu'il devra posséder. La loi morale doit donc s'imposer par sa seule forme, c'est à dire par sa seule universalité.
Cette loi morale n’exige de moi qu’une chose, que j’agisse toujours comme un législateur, c’est à dire que je n’agisse jamais au titre d’exception (pour une fois, pour cette fois). (Tout législateur, avons nous vu, légifère dans le sens du général, ici de l’universel.)
Nous avons l'habitude de lier l'idée de raison à l'idée de raisonnements, de discussions qui précèdent la décision, nous apercevons ici la raison comme source d'un ordre sans appel. Elle oblige la pure volonté et devient pratique. (elle ne donne pas ses raisons) elle est exigence de non contradiction et d'universalité. C’est une raison législatrice.
L’impératif catégorique se rapporte nécessairement à quelque chose qui ait une valeur absolue et qui puisse ainsi être pris comme fin en soi par tout être raisonnable. Cette fin en soi, c’est la nature raisonnable de l’homme.
Les formulations de l’impératif catégorique
L'impératif émane d'une raison qui ne commande que soi, qui est pure exigence d'universalité. On peut en donner trois formulations différentes.
Une maxime, c'est une règle subjective d'action qu'un sujet se donne à lui -même.
1ère formulation :
Agis toujours d’après une maxime telle que tu puisses vouloir qu’elle devienne en même temps puisse une loi universelle
2ème formulation :
Agis de telle sorte que tu traites l’humanité dans ta personne aussi bien que dans celle d’autrui, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen.
La raison n’exige de nous que le respect absolu de la personne humaine. Ce qui est respectable en l’homme c’est sa raison, et non la sensibilité qu’il a en partage avec l’animal.
3ème Formulation :
La volonté de tout être raisonnable doit être conçue comme instituant une législation universelle.
(Fondements de la Métaphysique des mœurs.)
Les exemples :
Puis-je admettre comme morale une maxime autorisant à ne pas restituer un prêt ? Si j’universalise la maxime de cette action, je détruis l’idée même de prêt. (Tout prêt suppose l’idée de restitution.)Lorsque j’emprunte de l’argent en ayant l’intention de ne pas le rendre, ma maxime est une maxime subjective de l’amour de soi. Je veux transgresser pour mon profit les règles de l’emprunt, alors que tous continueront à les respecter. (devoir envers autrui)
Puis-je admettre comme morale une maxime m’autorisant à ne pas cultiver mes talents ? On peut concevoir un monde dans lequel l’humanité ne développerait jamais ses talents ( les sauvages des mers du Sud). Ce n’est pas contradictoire logiquement, mais je ne peux pas vouloir un tel monde. Ce serait oublier que l’humanité ( l’être raisonnable) est une fin. (devoir envers soi)
Puis-je admettre la maxime autorisant le suicide ? C’est une maxime de l’amour de soi. Une nature dont la loi serait la suppression de la vie serait en contradiction avec le sentiment qui a pour fonction spéciale de pousser à la conservation de la vie. (devoir envers soi)
Puis-je admettre une maxime m’autorisant à ne pas aider autrui ? On peut concevoir un monde où personne n’aide son semblable, mais je ne peux pas vouloir un tel monde. Une telle volonté se contredirait-elle même. (Devoir envers autrui.)
On appelle devoir strict, un devoir dont la violation engendrerait un monde inconcevable pour l’entendement. (la dette, le suicide)
On appelle devoir large un devoir dont la violation entraîne un monde non- souhaitable. (Ne pas développer ses talents, ne pas aider son prochain.)
A travers chacun de ces exemples, on comprend bien que l’immoralité consiste pour moi, dans chacun des cas à utiliser autrui comme un moyen au service de mes fins personnelles, ou bien à subordonner ma propre personne à une fin que je juge supérieure à elle.
NB : Cette loi du devoir condamne comme immorales toutes les démarches politiques dans lesquelles la personne humaine est sacrifiée à un idéal jugé la transcender : dans le nazisme, la pureté de la race, dans le fascisme italien, l’état valeur suprême.
Kant veut surtout nous montrer que le devoir est plus facile à connaître que le bonheur. Un enfant de 7ans peut trancher sans hésiter dans une situation où un problème moral se pose. S'agissant du bonheur, nous avons beaucoup plus de peine à calculer les voies qui nous permettraient d'atteindre le bonheur.
Le devoir et la liberté du sujet moral.
-L’expérience morale est l’expérience d’un conflit entre les aspirations de notre nature sensible qui se rejoignent confusément dans l’aspiration au bonheur et la voix d’ « airain » du devoir.
-Le devoir a sa racine dans la liberté intelligible de l’homme et non dans un sentiment.
Agir moralement, ce n’est pas agir par crainte ou par plaisir, mais agir par respect pour la règle morale.
Le sentiment de respect est le seul sentiment moral. C’est l’effet de la loi morale sur nous : elle humilie la sensibilité. L’obéissance à la loi est rendue plus facile par le sentiment de respect que la loi nous force à éprouver pour elle. Il y a respect, là où il y a lutte effort vers le bien.
Agir par devoir, c’est se retrancher de sa nature sensible, de ses désirs, de son être social.
Nous découvrons la dualité de notre nature, qui appartient à la fois au monde sensible (Moi)et au monde intelligible. (Je) L’un (Moi) se plie à l’autre qui se constitue comme personnalité, c’est à dire volonté rationnelle.
Etre moral, c’est être capable de ne pas agir poussé par le mécanisme de la nature, de sa nature sensible, mais se faire « esprit », raison pure, soumis à la loi du devoir. En obéissant, nous obéissons à la partie qui en nous a une valeur éminente.
Tu dois, donc tu peux. ( Exemple du choix entre faire un faux témoignage pour nuire à un innocent et mourir. Il juge qu’il peut faire une action, parce qu’il a conscience qu’il doit le faire)
« L’arbitre qui peut-être déterminé par la raison pure s’appelle un libre-arbitre. L’arbitre qui n’est déterminable que par le penchant serait un arbitre animal. La liberté de l’arbitre et son indépendance quant à sa détermination, de tous les mobiles sensibles : tel est le concept négatif de la liberté. »(Métaphysique des Mœurs)
La personnalité manifeste l’indépendance par rapport au mécanisme de la nature entière, c’est la part active de l’homme.
La liberté du sujet moral ne peut être connue. Elle est postulée comme condition de la vie morale.
Les problèmes de l'action.
L’application de la règle morale à des cas particuliers :
Une casuistique est-elle acceptable ?
La règle est toujours générale, or, agir concrètement, c’est toujours agir dans une situation particulière. (voir l’opposition –concret- abstrait) Commet la règle s’adapte-t-elle à une situation particulière ? N’est-elle pas justement incapable de s’adapter à la diversité des cas ?
Que va –t-on en conclure, pourra-t-on admettre que dans certains cas, la transgression de la règle s’impose et qu’il peut- être plus moral de désobéir à la loi que de lui désobéir ?
Le débat peut s’inscrire dans un cadre plus général qui pourrait être aussi politique :
« Ce qui est vrai en théorie, peut-il ne pas être vrai en pratique ? »
On affirme des principes abstraits, (et dans le cas de la loi morale, rappelons que Kant la pense a priori )
Peut on condamner ces principes abstraits, parce qu’il semblent ne pas être capable de s’adapter à l’expérience ? Ce serait les condamner au nom de l’expérience.
Au 18ème siècle, la discussion porte sur les principes de la Révolution française. L’application de ces principes a amené la Terreur. (C’est à dire une conséquence catastrophique : étymologiquement une catastrophe, c’est un renversement ) Donc, on veut la liberté, et en appliquant les principes qui mènent à la liberté on obtient la privation de liberté la plus extrême, la Terreur.
Benjamin Constant pose à Kant la question suivante sur le plan moral : « L’hôte doit-il mentir à l’assassin venu tuer son ami ? » Si l’on prohibe absolument le mensonge, on arme le bras de l’assassin, ce qui est une conséquences catastrophique : ne pas mentir pour des raisons morales aboutit à permettre le meurtre.
Ce qui est vrai en théorie peut il s’avérer pratiquement faux ?