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Réflexion Ethique - TES 2010 ==

Version simplifiée du Cours adaptée à l'horaire des TES.



Sommaire

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Introduction

L’éthique s’interroge sur les valeurs ou normes auxquelles l’action peut être référée. Il ne s’agit plus de dire ce qui est, mais ce qui doit être L’éthique est le lieu d’une exigence. L’homme s’interroge sur ses fins, ses buts, ce qui peut être la perfection de sa conduite.

L’étymologie peut nous servir de point d’appui

Ethikos : qui concerne les mœurs

Morale : du latin mores, les mœurs.

L’étymologie nous renvoie aux mœurs, pratiques d’origine obscure, transmises par la tradition, que leur ancienneté seule impose et fait respectables. On peut partir d’un niveau pré-réfléchi de la morale en constatant que la morale, c’est toujours d’abord la moralité des mœurs. Avant toute réflexion, l’individu sait toujours ce qu’il doit faire parce que la société le lui indique impérativement. Le « Tu Dois » moral, se présente comme un « Tu dois « social.Nous appartenons toujours à une société, à une communauté religieuse, à un groupe quelconque, et nous y puisons l’indication de ce que nous avons à faire, soit parce qu’il exerce sur nous une contrainte, soit par paresse et conformisme.

Le moment de la réflexion éthique, c’est le moment où l’homme s’interroge en conscience. Sous l’autorité de sa seule raison, chacun se pose par soi-même la question de ses fins.

Qu’est- ce que bien vivre, quelles sont mes fins ? Question grecque : quelle est ma nature d’homme, et comment l’accomplir au mieux. (Le souci de soi) L’homme qui prend en charge une réflexion se fixe des buts et essaie de tendre à les réaliser par lui-même. Cet accomplissement peut se faire dans la communauté politique ou hors d’elle ; (Platon et Aristote pensent encore que bien vivre, c’est vivre dans la cité. Stoïciens et épicuriens recherchent plutôt à vivre en autarcie, quelque soit le contexte politique.)

La question moderne est plutôt une question « Que dois-je faire. ? » Dois-je aller vers un accomplissement de ma nature, ou vers l’obéissance à des principes universels ?

Il s’agit alors de chercher à fonder ses propres règles de conduite.Ceci ne signifie pas nécessairement nier la valeur de la coutume. On peut choisir de manière réfléchie de souscrire aux règles de la société à laquelle on appartient.

Rappelons la démarche socratique. Lorsque Socrate invite au " Connais toi toi même ", il invite à s'interroger sur l'homme et sur sa vertu, c'est à dire sur l'excellence de sa conduite. Qu'est-ce que bien vivre, au sens de " Quel est mon accomplissement" ? (Revoir la Question du Ménon : Est-ce que la vertu s'enseigne ? Qu'est ce que la vertu ? )

Morale et moralité des moeurs , la camisole de force sociale

Nietzsche emploie dans la Généalogie de la morale , l'expression de camisole de force sociale, pour rappeler l'ancrage des comportements " moraux" dans la société.

Nous donnons un sens moral à un acte quand nous pouvons dire qu’il est conscient et que nous trouvons à sa racine une intentionnalité volontaire. Les concepts moraux les plus fondamentaux ont un sens social. Nietzsche essaie d’en faire la généalogie. De manière très ancienne, la morale ne met même pas en jeu la réflexion individuelle, la conscience ou la liberté de choix. Plus fondamentalement, il existe un ordre social à respecter . Toute transgression est ressentie comme un désordre, une mise en question du groupe.

Nietzsche fait ainsi la généalogie de la notion de faute et de celle de responsabilité.

Nous parlons de faute morale, parce qu’il y a conscience et libre choix à la racine d'un acte .Longtemps, les plus anciennes sociétés n'ont connu que la notion de dette. Qui transgresse les règles du groupe introduit un désordre et doit rétablir l’ordre ancien. Il peut le faire en rendant un équivalent matériel. Les anciens codes francs sont des systèmes de compensation, des systèmes d’établissement d’équivalences matérielles. L’intériorité morale ne semble pas exister ou être prise en compte . Le châtiment ne vise d’ailleurs pas à changer cette intériorité, à modifier le coupable. La société utilise les supplices comme mnémotechnique, afin d’ancrer dans les mémoires des hommes oublieux de ses règles deux ou trois « Tu dois ». De la même manière, elle peut choisir de mettre à mort un bouc émissaire, ce qui montre bien qu’elle se préoccupe de défendre son ordre plutôt que de s’interroger sur l’auteur réel de l’acte. Enfin, le châtiment est plutôt de l’ordre de la vengeance. Celui qui a été lésé, ou la société elle même réclamant le paiement de la dette en un équivalent souffrance.

Le fonds de la vie morale, n’est- il pas le lien de l’individu au groupe et le sentiment qu’il a de lui appartenir ? Le sujet moral, tel que nous le définissons ne s’est pas encore découvert.

Comment passer de ce niveau pré - réfléchi de la morale à un niveau réfléchi ? Il faut découvrir la nature sociale de la règle.

Comment peut naître cette critique ?L'histoire présente quelques exemples. Une société peut trouver une invitation à réfléchir sur ses pratiques en se heurtant à une autre société. Au 18ème siècle, l’Occident rencontre d’autres cultures et s’interroge sur lui-même. La relativité de la règle sociale apparaît à la conscience. Si cette règle est relative et contingente, que vaut-elle donc ?

En Grèce, les sophistes, intellectuels itinérants avaient pris conscience de la relativité des règles morales et leur donnaient le statut de convention.

Rappelons toutefois les écueils de la comparaison entre les cultures. ( Voir cours sur la Culture) Ces écueils nous amèneront à nous poser la question : peut-on découvrir ses règles morales dans l’expérience ?

Le préjugé ethnocentrique : la tendance à discréditer ce qui est autre, à se considérer comme seuls civilisés et à dire que les autres sont des barbares ou des sauvages.

L’idéalisation d’une autre culture. (Le mythe du bon sauvage). Diderot : « Les Suppléments aux Voyages de Bougainville » idéalise les mœurs tahitiennes en en faisant une expression directe de la nature : « Nous suivons le pur instinct de la nature. » fait -il dire au tahitien,choisissant de dire que la nature est supérieure à la convention sociale.

Nous avons tendance à critiquer nos règles sociales parce qu’elles pèsent sur nous et limitent notre action. Si nous appartenions à une autre culture, ces autres règles « nous paraîtraient aussi intolérables » Levi-Strauss

Comparer nos mœurs à d’autres mœurs nous en fait découvrir la relativité, le manque d’universalité. Nous comprenons alors la nécessité d’une norme qui vienne juger la coutume (nous dire où se trouve la meilleure), mais l’expérience ne produit pas elle-même cette norme. Ne faut-il pas en appeler à la raison plutôt qu’à l’expérience pour répondre à la question " Qu'est-ce que bien vivre" ou à la question « Que dois-je faire ? »

Qu'est ce que bien vivre ? Être heureux? L'homme a-t-il une vocation au bonheur?

Si je connais ma nature, je puis savoir vers quoi je tends, dans quoi se réalise mon épanouissement.

Le souverain bien est-ce le bonheur ? N’est-ce pas un idéal difficile à déterminer ?

Tous les hommes désirent le bonheur, c’est une universalité de fait, tel est le constat d'Aristote. Le bonheur est une fin absolue, non relative. Toute activité tend vers un bien, la médecine vers la santé, l’activité militaire vers la victoire, mais tous les biens sont recherchés en vue d’un bien suprême, d’une fin plus haute qui est le bonheur. Le bonheur est recherché pour lui-même. Nous désirons être heureux pour être heureux.« Sur un nom, la plupart des hommes sont pratiquement d’accord, c’est le bonheur au dire de la foule aussi bien que des gens cultivés ; tous assimilent le fait de bien vivre et de réussir au fait d’être heureux. Par contre, en ce qui concerne la nature du bonheur, on ne s’entend plus, et les réponses de la foule différent de celles des sages ». Les Politiques

ARISTOTE interroge l’expérience. Les hommes situent le bonheur dans différentes sortes de vie : la vie de plaisir, la vie politique, la vie contemplative ou la vie tournée vers les richesses.

Peut-on préciser la nature du bonheur ?

Une première question se pose : le bonheur est –il un état stable, un état de paix intérieure ou d’absence de trouble ? Ou bien le bonheur admet-il l’instabilité le mouvement, le devenir ? L’enjeu des réponses à cette question, c’est la place du désir, des passions dans la vie heureuse, ainsi que la place du plaisir

Pour déterminer ce qu’est le bonheur, puis-je m’appuyer sur la connaissance théorique de ma nature ?

Si je m’assimile à un corps, si ce qui compte pour moi, c’est la partie sensitive de mon être, alors le bonheur peut-être identifié au plaisir, mais peut-on trouver dans une vie de plaisir une stabilité suffisante ?

Si l’homme c’est son âme, n’est-ce pas le savoir qui procure le bonheur ? La vie contemplative n’est - elle pas la vie heureuse ? Un idéal théorétique n’est - il pas trop élevé pour l"homme ? « Une vie de ce genre est trop élevée pour la condition humaine, car ce n'est pas en tant qu'homme qu'on vivra ainsi, mais en tant que quelque élément divin est présent en nous. " »Aristote Éthique à Nicomaque. (1177b 27)

Peut-on trouver le bonheur dans une vie de plaisir ?

Y a-t-il des tyrans heureux ?

Le tyran incarne la vie de plaisirs ou l’illimitation des désirs. Il fait ce qui lui plait parce qu’il n’est pas borné par la loi. Dans la République de Platon, l'interlocuteur de Socrate évoque l'apologue de Gygès le berger, qui découvrant son invisibilité, et (donc son impunité)se met à commettre toutes les exactions pour donner satisfaction à tous ses désirs. Ne réalise-t-il pas dans son comportement les voeux les plus chers de tous les hommes ? Socrate décrit le bonheur de l'homme juste, à l'âme tempérante. Ne faut-il pas lui opposer le bonheur dans une vie de satisfaction des désires déréglés ?

Texte : Discours de Calliclès dans Le Gorgias de Platon. Epithumia désirs déréglés, irréfléchis. ( traduit par passions)

Le désir, c’est un appétit, une tension., Le désir tend au plaisir, comme à la fin qui l’accomplit et qui substitue la jouissance à la tension initiale.

Pour Platon l’expérience du désir semble porter atteinte à la maîtrise de soi. Dans le désir, c’est le corps qui revendique son hégémonie. (Rép Livre IV : Léontios et les cadavres étendus sur le lieu du supplice) « Le corps nous remplit d’amour, de désirs, de craintes, de chimères de toutes sortes, … d’innombrables sottises, si bien que, il nous ôte vraiment et réellement toute possibilité de penser. Guerres dissensions, batailles, c’est le corps seul et ses appétits qui en sont la cause. (Phédon, 66a 67a) Socrate invite à une maîtrise des désirs.

Or Calliclès revendique justement une libération des désirs et considère que le souci de la tempérance n’est que l’expression des lois de la cité. La nature au contraire veut qu’on laisse prendre à ses désirs toute l’extension possible au lieu de les réprimer. (Opposition sophistique de la nature et de la loi.)Le bonheur est alors la multiplication des désirs, vécue sans frein. « Laisser prendre à ses passions toute l’extension possible. » Le tyran fait ce qui lui plaît parce qu'il est au dessus des lois.

Calliclès se définit comme un aristocrate. Il appartient au petit nombre des meilleurs. Il a le courage et l'intelligence pour donner satisfaction à tous ses désirs, à mesure qu'ils éclosent. Pour lui, les lois de la cité qui prônent la tempérance sont faites par les faibles, par ceux qui ont peur des conflits et souhaitent se protéger des plus forts. C'est la convention de la cité. La morale de la tempérance est pour Calliclès hypocrite, et lui se présente comme celui qui ose dénoncer cette hypocrisie. Lui en appelle à la loi de la nature qui selon lui veut le triomphe des forts. La position de Calliclès est forte, car il y a pour lui une double hiérarchie de valeurs.

Platon discute la thèse de Calliclès. A propos du tyran, il pose la question : " Il fait ce qui lui plait " "Fait-il ce qu’il veut ? " Si toute volonté vise le bien, le tyran, l’homme du bon plaisir, fait-il véritablement son bien ? Platon présente le tyran, comme l'homme qui se trompe sur la détermination de son bien.

Discussion sur la possibilité de trouver le bonheur dans la satisfaction des désirs.

L’homme du désir ne se gouverne pas lui – même. Le tyran soi- disant apte à gouverner l'état ne se gouverne pas lui même ?

Socrate décrit l’âme du passionné est comme un tonneau percé : « On préfère une existence inassouvie à une vie réglée contente et satisfaite. » Calliclès rétorque que l’homme au tonneau plein n’a plus aucun plaisir. L’agrément de la vie est de verser le plus qu’on peut.

Le plaisir n'est pas pour Platon un état stable : tout plaisir suppose une douleur : il faut avoir faim pour manger. Tout besoin et tout désir sont pénibles. Manger quand on a faim, boire quand on a soif. On ressent en même temps du plaisir et de la douleur, mais on ne peut être en même temps heureux et malheureux. Le plaisir et la peine cessent en même temps, pas le bonheur et le malheur. (On cesse d’avoir faim et de ressentir le plaisir de manger.) Le plaisir n’est donc pas le bonheur.

D'autre part si le plaisir est identifié au bien, on met sur le même rang tous les plaisirs, parce qu’on n’a plus la possibilité de discerner entre eux. Le plaisir du tyran équivaut au plaisir du galeux qui se gratte.

Les plaisirs mesurés

La démarche d'Epicure : réhabiliter le corps et trouver une mesure au plaisir.

Instabilité, illimitation : telles sont les grandes objections faites à ceux qui veulent trouver le bonheur dans une vie de plaisirs.

Ne peut-on pas les lever ? Les plaisirs ne peuvent-ils pas trouver une mesure ?

Voir analyse développée de la lettre à Ménécée.

La satisfaction des désirs naturels n’est pas déraisonnable, La vie heureuse est une vie de plaisirs mesurés, seuls les désirs illimités sont à condamner, mais corps fournit lui - même une limite.

Pourquoi refuserait-on de discréditer le corps ou de lui donner une place subordonnée ? Quelle est la perfection de la vie heureuse ?

« Une théorie non erronée des désirs doit rapporter tout choix et toute aversion à la santé du corps et à l’ataraxie de l’âme. C’est là la perfection même de la vie heureuse ».

Le corps est réintégré ( la sensation est prise pour règle : canon)« Ce sont nos affections qui nous servent de règle pour mesurer et apprécier tout bien quelconque, si complexe soit-il » La sensation est prise pour base de la canonique épicurienne. Sans elle, il ne nous resterait aucun critère pour juger. De ce que nous ressentons dans le corps, il suit que le plaisir est à rechercher, la douleur est à fuir.

« Le plaisir est le principe et la fin de la vie bienheureuse » Principe : nous en partons pour dire ce qu’il y a à rechercher ou à éviter. Fin : c’est notre but, ce vers quoi nous tendons ; Arke : ce qui commande - Telos : accomplissement et but.

Selon les textes : « Tout plaisir est un bien, toute douleur est un mal. » Dans la Lettre à Ménécée, on introduit l’idée que selon les circonstances, la recherche de plaisirs pourrait nous apporter plus de douleur. Le sage fait un calcul raisonné pour choisir entre les plaisirs. Epicure en réponse au discrédit jeté sur la recherche du plaisir essaie de montrer que le plaisir peut être stable, qu’il n’est pas indéfini. La perfection stable est à notre portée. Le plaisir suit la douleur, mais l’exclut. Il est absence de douleur et peut donc être plénitude.

Maxime fondamentale III « La limite de la grandeur des plaisirs est l’élimination de tout ce qui provoque la douleur »

Le plaisir est absence de douleur. La douleur est un manque. Nous éprouvons du plaisir quand ce manque est comblé. La limite du plaisir est la privation de toute douleur. Le rejet de la douleur est le bien suprême lié à notre constitution.

Le plaisir est catastématique : stable.

Aponie : absence de douleur pour le corps. Ataraxie : absence de troubles pour l’âme.

Les deux sont unis. Quand la douleur est supprimée, nous ressentons immédiatement la plénitude qu’est le plaisir. L’évacuation de la douleur est pour les épicuriens une plénitude.

(Calliclès aurait dit qu’il s’agissait là d’une vacuité insaisissable. L’homme au tonneau plein est comme pétrifié.)


Le bonheur idéal de la sensibilité : l'accord ne peut se faire autour d'une conception du bonheur.

Il est aisé de montrer que les eudémonismes antiques ( philosophies qui font du bonheur le souverain bien) se contredisent.

Nul ne sait vraiment ce qu'est le bonheur. Tous les hommes désirent le bonheur. C'est une universalité de fait. Mais les hommes sous le nom de bonheur désirent des choses variables. Les moralistes antiques ont pensé pouvoir définir le bonheur de manière absolument stricte et les moyens d'y parvenir rigoureusement. Kant souligne plutôt que sous le nom de bonheur les hommes essayent de penser la satisfaction totale de toutes leurs inclinations sensibles et une satisfaction durable. Or, dans ce tout, il peut y avoir des éléments contradictoires - on peut désirer la santé et une longue vie, on peut désirer une vie matérielle confortable mais non les tracas du travail - et nous ne sommes pas omniscients au point de pouvoir penser toutes les conditions qu’il faudrait parvenir à réunir pour réaliser ce tout. (Voir texte de Kant) On imagine donc le bonheur, mais on est incapable d'en forger un concept clair. Le bonheur dit Kant est un "idéal de l'imagination".

Les sensibilités sont d'autre part subjectives. Chacun peut ressentir différemment l' épanouissement de la sensibilité désiré. Si je recherche des valeurs morales incontestables, faisant l’accord des esprits, visant l’universalité, prendre le bonheur pour fin me fait manquer mon but. L’argument atteint de manière décisive les eudémonismes.

Kant refuse de dire que l'homme doit prendre le bonheur pour fin. (CF Fondements de la métaphysique des mœurs,) en usant en outre d’un argument finaliste Le bonheur pourrait être assuré par le seul instinct, sans réflexion. L'instinct adapte sans faille les moyens aux fins. On pourrait imaginer un monde où l'on n'aurait pas besoin de raison pour agir. Dans notre monde nous avons une raison pour agir, une raison technicienne. C'est que nous avons une autre fin que le bonheur. La raison est liée à la conscience, qui peut être source de malheur. Je prends conscience de mon rapport au monde, de là naît l'inquiétude. Kant considère plutôt que la raison nous éloigne du bonheur. L'instinct vaudrait mieux que la raison

La raison construit en outre une civilisation technicienne qui va à l’encontre du bonheur. Kant ne croit pas au rêve des Lumières : le bonheur par le progrès des techniques. Plus l'homme use d'une " raison cultivée", plus il semble s'éloigner du bonheur " du véritable contentement". Il en viendrait à une "haine de la raison", il en viendrait à envier les peuples qui n'ayant pas choisi de développer les techniques et les sciences semblent plus heureux. ( les sauvages des mers du Sud).


L'homme a-t-il une vocation à la rationalité ?

Préambule : l'idée d'une raison pratique :

La raison pour tous les philosophes rationalistes est le pouvoir de la pensée correcte : raisonner c'est enchaîner des arguments en respectant des règles ( non- contradiction par exemple) Kant donne à la raison un pouvoir pratique : elle donne ses règles à l'action. Notre raison est raison pratique, législatrice a priori de la règle morale. C'est le principe de l'autonomie du sujet moral. Cette raison est universelle, et on peut trouver en elle l’universalité recherchée pour échapper aux contradictions des eudémonismes. Il n'y a pas besoin de culture pour être moral, mais la conscience commune peut être amenée, non pas à mieux juger moralement, mais à mieux comprendre ce qu'elle fait quand elle juge moralement.

La bonne volonté :

La perfection morale n'est plus dans l'excellence objective de la conduite (chère aux moralistes grecs).

La conscience commune prend toujours comme règle la bonne volonté quand elle veut juger les actes humains de façon morale. C'est la volonté qui a présidé à l'acte qui est jugée moralement. La moralité ne consiste pas dans l'étendue de nos connaissances, mais dans la rectitude de la volonté.

La bonne volonté est la volonté soumise à la loi pure de la raison, la volonté d'agir par respect pour la règle morale(et non simplement conformément à)Il sera très difficile de juger de la moralité d'une action ( même lorsqu'il s'agit de nos propres actions). Nous connaissons mal les intentions qui ont présidé aux actes. Nous même sommes toujours susceptibles d'agir par égoïsme, ou par calcul d'intérêt sans nous en rendre vraiment compte. (Ex : conservons-nous notre vie par intérêt ou par devoir ? EX2 L’épicier qui fait payer le juste prix)

Intention ne signifie quand même pas velléité.

NB : l'état ne peut juger que nos actions : un état peut il envisager de nous rendre moraux ?

La loi morale se présente à nous comme un impératif, comme un devoir

Kant pense que toutes les facultés humaines se réduisent à deux : la faculté sensible d'une part, la raison d'autre part. Il estime que la sensibilité se réduit à l'amour de soi et à l'égoïsme. La raison en tant que principe d'universalité contraint la sensibilité. La règle de la raison pratique nous apparaît donc comme un impératif.

NB Kant ne considère pas qu'il puisse y avoir un sentiment moral (comme le pensaient les moralistes anglais)

Notre volonté n’obéit pas spontanément à la loi morale, mais elle doit se contraindre ; « nous sommes membres législateurs d’un royaume moral, mais nous en sommes les sujets et non les souverains. »

Les impératifs de la raison pratique sont catégoriques :

Certains impératifs sont hypothétiques : si tu veux te réchauffer, allume un feu. Ils présentent l’articulation de moyens à une fin qui n’est pas nécessaire en elle-même.

L'impératif catégorique est l'impératif qui représente l'action comme nécessaire en elle-même, sans rapport avec un but quelconque. L'impératif porte sur ce qui doit être. Il est donné à titre de fait de raison au sein des jugements portés par toute conscience morale, mais ces jugements sont de simples exigences de notre raison dans son pouvoir pratique.

Aucune expérience ne peut nous montrer l'impératif moral. La moralité est, elle, une chimère, une simple illusion ?

Kant veut fonder la moralité sur la raison, sur ce qui est universel en l'homme. Est-ce possible ?

Kant ne doute jamais que la bonne volonté soit le seul bien absolu, mais de cela nous ne pouvons conclure qu'elle existe en l'homme. Mais même si l'impératif catégorique n'est pas au principe d'actions réelles, notre jugement dépasse notre nature et affirme a priori la moralité. Pascal disait : je suis misérable, mais se savoir misérable, c'est être grand. Kant affirme : je suis de part en part égoïsme, mais je sais que seule vaut la bonne volonté. La disqualification de la nature est définitive, mais disqualifier la nature n'est pas ruiner la morale.

Encore faudra-t-il montrer que l'impératif peut commander effectivement nos actions.

Quelles formules prend la loi du devoir pour commander l'action humaine ?

Si l'impératif catégorique est purement rationnel, on doit pouvoir déduire de la seule raison les caractères qu'il devra posséder. La loi morale doit donc s'imposer par sa seule forme, c'est à dire par sa seule universalité.

Cette loi morale n’exige de moi qu’une chose, que j’agisse toujours comme un législateur, c’est à dire que je n’agisse jamais au titre d’exception (pour une fois, pour cette fois). (Tout législateur, avons nous vu, légifère dans le sens du général, ici de l’universel.)

Nous avons l'habitude de lier l'idée de raison à l'idée de raisonnements, de discussions qui précèdent la décision, nous apercevons ici la raison comme source d'un ordre sans appel. Elle oblige la pure volonté et devient pratique. (elle ne donne pas ses raisons) elle est exigence de non contradiction et d'universalité. C’est une raison législatrice.

L’impératif catégorique se rapporte nécessairement à quelque chose qui ait une valeur absolue et qui puisse ainsi être pris comme fin en soi par tout être raisonnable. Cette fin en soi, c’est la nature raisonnable de l’homme.

Les formulations de l’impératif catégorique

L'impératif émane d'une raison qui ne commande que soi, qui est pure exigence d'universalité. On peut en donner trois formulations différentes.

Une maxime, c'est une règle subjective d'action qu'un sujet se donne à lui -même.

1ère formulation :

Agis toujours d’après une maxime telle que tu puisses vouloir qu’elle devienne en même temps puisse une loi universelle

2ème formulation :

Agis de telle sorte que tu traites l’humanité dans ta personne aussi bien que dans celle d’autrui, toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un moyen.

La raison n’exige de nous que le respect absolu de la personne humaine. Ce qui est respectable en l’homme c’est sa raison, et non la sensibilité qu’il a en partage avec l’animal.

3ème Formulation :

La volonté de tout être raisonnable doit être conçue comme instituant une législation universelle.

(Fondements de la Métaphysique des mœurs.)

Les exemples :

Puis-je admettre comme morale une maxime autorisant à ne pas restituer un prêt ? Si j’universalise la maxime de cette action, je détruis l’idée même de prêt. (Tout prêt suppose l’idée de restitution.)Lorsque j’emprunte de l’argent en ayant l’intention de ne pas le rendre, ma maxime est une maxime subjective de l’amour de soi. Je veux transgresser pour mon profit les règles de l’emprunt, alors que tous continueront à les respecter. (devoir envers autrui)

Puis-je admettre comme morale une maxime m’autorisant à ne pas cultiver mes talents ? On peut concevoir un monde dans lequel l’humanité ne développerait jamais ses talents ( les sauvages des mers du Sud). Ce n’est pas contradictoire logiquement, mais je ne peux pas vouloir un tel monde. Ce serait oublier que l’humanité ( l’être raisonnable) est une fin. (devoir envers soi)

Puis-je admettre la maxime autorisant le suicide ? C’est une maxime de l’amour de soi. Une nature dont la loi serait la suppression de la vie serait en contradiction avec le sentiment qui a pour fonction spéciale de pousser à la conservation de la vie. (devoir envers soi)

Puis-je admettre une maxime m’autorisant à ne pas aider autrui ? On peut concevoir un monde où personne n’aide son semblable, mais je ne peux pas vouloir un tel monde. Une telle volonté se contredirait-elle même. (Devoir envers autrui.)

On appelle devoir strict, un devoir dont la violation engendrerait un monde inconcevable pour l’entendement. (la dette, le suicide)

On appelle devoir large un devoir dont la violation entraîne un monde non- souhaitable. (Ne pas développer ses talents, ne pas aider son prochain.)

A travers chacun de ces exemples, on comprend bien que l’immoralité consiste pour moi, dans chacun des cas à utiliser autrui comme un moyen au service de mes fins personnelles, ou bien à subordonner ma propre personne à une fin que je juge supérieure à elle.

NB : Cette loi du devoir condamne comme immorales toutes les démarches politiques dans lesquelles la personne humaine est sacrifiée à un idéal jugé la transcender : dans le nazisme, la pureté de la race, dans le fascisme italien, l’état valeur suprême.

Kant veut surtout nous montrer que le devoir est plus facile à connaître que le bonheur. Un enfant de 7ans peut trancher sans hésiter dans une situation où un problème moral se pose. S'agissant du bonheur, nous avons beaucoup plus de peine à calculer les voies qui nous permettraient d'atteindre le bonheur.

Le devoir et la liberté du sujet moral.

-L’expérience morale est l’expérience d’un conflit entre les aspirations de notre nature sensible qui se rejoignent confusément dans l’aspiration au bonheur et la voix d’ « airain » du devoir.

-Le devoir a sa racine dans la liberté intelligible de l’homme et non dans un sentiment.

Agir moralement, ce n’est pas agir par crainte ou par plaisir, mais agir par respect pour la règle morale.

Le sentiment de respect est le seul sentiment moral. C’est l’effet de la loi morale sur nous : elle humilie la sensibilité. L’obéissance à la loi est rendue plus facile par le sentiment de respect que la loi nous force à éprouver pour elle. Il y a respect, là où il y a lutte effort vers le bien.

Agir par devoir, c’est se retrancher de sa nature sensible, de ses désirs, de son être social.

Nous découvrons la dualité de notre nature, qui appartient à la fois au monde sensible (Moi)et au monde intelligible. (Je) L’un (Moi) se plie à l’autre qui se constitue comme personnalité, c’est à dire volonté rationnelle.

Etre moral, c’est être capable de ne pas agir poussé par le mécanisme de la nature, de sa nature sensible, mais se faire « esprit », raison pure, soumis à la loi du devoir. En obéissant, nous obéissons à la partie qui en nous a une valeur éminente.

Tu dois, donc tu peux. ( Exemple du choix entre faire un faux témoignage pour nuire à un innocent et mourir. Il juge qu’il peut faire une action, parce qu’il a conscience qu’il doit le faire)

« L’arbitre qui peut-être déterminé par la raison pure s’appelle un libre-arbitre. L’arbitre qui n’est déterminable que par le penchant serait un arbitre animal. La liberté de l’arbitre et son indépendance quant à sa détermination, de tous les mobiles sensibles : tel est le concept négatif de la liberté. »(Métaphysique des Mœurs)

La personnalité manifeste l’indépendance par rapport au mécanisme de la nature entière, c’est la part active de l’homme.

La liberté du sujet moral ne peut être connue. Elle est postulée comme condition de la vie morale.

Les problèmes de l'action.

L’application de la règle morale à des cas particuliers :

Une casuistique est-elle acceptable ?

La règle est toujours générale, or, agir concrètement, c’est toujours agir dans une situation particulière. (voir l’opposition –concret- abstrait) Commet la règle s’adapte-t-elle à une situation particulière ? N’est-elle pas justement incapable de s’adapter à la diversité des cas ?

Que va –t-on en conclure, pourra-t-on admettre que dans certains cas, la transgression de la règle s’impose et qu’il peut- être plus moral de désobéir à la loi que de lui désobéir ?

Le débat peut s’inscrire dans un cadre plus général qui pourrait être aussi politique :

« Ce qui est vrai en théorie, peut-il ne pas être vrai en pratique ? »

On affirme des principes abstraits, (et dans le cas de la loi morale, rappelons que Kant la pense a priori )

Peut on condamner ces principes abstraits, parce qu’il semblent ne pas être capable de s’adapter à l’expérience ? Ce serait les condamner au nom de l’expérience.

Au 18ème siècle, la discussion porte sur les principes de la Révolution française. L’application de ces principes a amené la Terreur. (C’est à dire une conséquence catastrophique : étymologiquement une catastrophe, c’est un renversement ) Donc, on veut la liberté, et en appliquant les principes qui mènent à la liberté on obtient la privation de liberté la plus extrême, la Terreur.

Benjamin Constant pose à Kant la question suivante sur le plan moral : « L’hôte doit-il mentir à l’assassin venu tuer son ami ? » Si l’on prohibe absolument le mensonge, on arme le bras de l’assassin, ce qui est une conséquences catastrophique : ne pas mentir pour des raisons morales aboutit à permettre le meurtre.

Ce qui est vrai en théorie peut il s’avérer pratiquement faux ? En outre, lorsque Kant propose une image d'une humanité heureuse dans l'"Idée d'une histoire universelle au point de vue cosmopolitique", il évoque les pacifiques (et mythiques )Bergers d'Arcadie. Mais il ajoute aussitôt que leur vie n'a guère plus de valeur que celle de leurs troupeaux. L'humanité a la sensibilité en partage avec l'animal, mais les hommes sont aussi doués de raison. pour Kant cette raison est le fondement de la dignité de l'homme. Il faut prendre pour fin, non le bonheur, mais le développement de cette raison.

Kant assigne donc à l’homme une fin qui lui paraît plus haute que le bonheur : ne sommes nous pas fait pour développer notre raison, au sens intellectuel, certes, mais surtout au sens moral ?