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La Réflexion Politique

Version du 17 février 2010 à 13:38 par Amb (Discuter | Contributions)

résumé

DE LA SOCIETE A LA SOCIETE POLITIQUE


(Notions : Société, Etat, droit, Justice, liberté, autrui)

Sommaire

1/ Le fait social

Nous dirons "fait social" , au sens de « donnée de l’expérience ». On peut spéculer sur l’idée d’un homme seul (ce que fait Rousseau dans le Second Discours », mais l’homme dans l’expérience historique vit toujours en société) Il importe de se demander ce qui relie les hommes à l’intérieur de la société, ce qui secrète du lien social.

L’homme se rencontre toujours en société

(voir cours sur la culture)

Qu’est ce qu’une société? « La société, c’est une organisation complexe d’individus, fondé à la fois sur la compétition et la solidarité et comprenant un système de communication » E Morin « Un ensemble organisé d’individus ayant des relations déterminées et unis par des services réciproques » Cette définition convient aussi aux sociétés animales. La société est un fait répandu dans la nature.

Attention: Robinson est seul, mais la société est présente en lui. (Il a une Bible des outils.)

Sur quoi repose le lien social ?

Une société est fondée sur des échanges:

Quand nous pensons échanges, nous pensons à la forme la plus commune pour nous des échanges, l’échange marchand. L’échange marchand est l’effectuation d’un contrat (tacite ou non) dans lequel un bien ou un service (utile) est vendu et donc acheté par l’intermédiaire d’un signe monétaire. On peut aussi penser au troc. Or certains échanges sont des échanges symboliques, ils visent à établir un lien de reconnaissance entre les membres d’un groupe, à honorer, à introduire l’autre parmi ses pairs et non à accumuler des biens. (Pensons à la politesse). Il faut élargir la notion d’échanges.

Choisissons de mettre en évidence quelques types d' échanges, fondamentaux pour la vie sociale.

Les ethnologues (Lévi Strauss) affirment que toutes les sociétés font circuler les femmes: exogamie

Toutes les sociétés ont une même règle (alors que jamais une règle n’est universelle): la prohibition de l’inceste, c'est-à-dire l’interdiction du mariage avec la personne proche. (La définition de la proximité varie de société en société). Il s’agit de constituer des alliances entre les cellules familiales biologiquement définies; « L’échange a une valeur sociale: il fournit le moyen de lier les hommes entre eux et de superposer aux liens de parenté des liens désormais artificiels, des alliances régies par des règles »

Structures élémentaires de la parenté Levi- Strauss. NB: l’échange suppose l’échange, pour échanger, il faut un minimum de confiance, une entente, aussi éphémère soit elle.

On peut rappeler le caractère essentiel des échanges linguistiques

(Voir cours sur le langage)

Faut-il considérer les échanges économiques comme également fondamentaux ? le fait social est-il originairement économique ?

(oikos: la maison)

Lorsqu’il pense la construction de la cité dans La République, Platon la fait découler du besoin: « C’est l’impuissance où chaque homme se trouve de se suffire à lui-même et le besoin qu’il a d’une foule de choses qui est à l’origine de la cité » la cité, il faut le noter ayant une fin plus haute que la seule satisfaction des besoins.

Les modernes ( Dix huitième siècle) comme Smith, insistent sur le rôle que joue le besoin pour réunir les hommes. Tout acte humain, pour Adam Smith est motivé par l’intérêt individuel. Cet intérêt individuel bien compris suffit à construire toutes les relations sociales. Les hommes ont des besoins et échangent pour satisfaire leurs besoins, mais Smith ajoute qu’il existe en tous les hommes un penchant naturel, une « propension à échanger »

Les hommes ont conscience de ne pas être auto- suffisant, alors que les animaux se suffisent bien plus facilement à eux-mêmes. Les hommes ont besoin de la société, du secours de leurs semblables, mais ils ne peuvent rien attendre de la bienveillance d’autrui. Smith associe deux thèmes:

-le besoin inéluctable que nous avons de l’autre

-l'affirmation de l’égoïsme individuel.

(Dans ses ouvrages moraux Smith parle d’une sympathie de l’homme pour l’homme – dans ses ouvrages économiques, il insiste sur l’égoïsme) Il n’y a pas de bienveillance du boulanger, mais celui-ci veillant à son intérêt bien compris fera du bon pain qu’il vendra à un prix convenable.

Le texte est célèbre: « L’homme a presque continuellement besoin du secours de ses semblables, et c’est en vain qu’il l’attendrait de leur seule bienveillance. Il sera bien plus sûr de réussir s’il s’adresse à leur intérêt personnel ….. Ce n’est pas de la bienveillance du boucher, du marchand de bière et du boulanger que nous attendons notre dîner, mais bien du soin qu’ils apportent à leurs intérêts. Nous ne nous adressons pas à leur humanité, mais à leur égoïsme » Adam Smith - Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations

Thème de la main invisible: du concours des égoïsmes nait une prospérité commune. Pour Smith, la solidarité se réalise elle-même dans les échanges incessants, sans qu’il soit dans les intentions conscientes des individus de la rechercher comme telle, sans qu’ils soient guidés par des valeurs morales.

Remarques:

On voit apparaître dans ce texte de Smith, une idée qui sera très riche de développements: le mal moral ( immoralité des passions ) peut engendrer un bien commun.

Smith insiste sur l’idée d’une auto- régulation de l’économie. La question est importante, l’enjeu est celui du rôle du politique. Quel besoin les hommes auront-ils de la loi et de l’ordre politique ?

Nous comprenons que Smith n’attendra de la loi que la création d’un contexte d’ordre propice aux échanges économiques. Nous sommes là dans la perspective du libéralisme. Dans notre parcours de la société à la société politique, il importera de se demander ce que nous attendons de la loi et de l’ordre politique.

En marge de l'analyse de Smith - Approche sommaire d'un extrait de "Propos sur les Pouvoirs" d'Alain

Nous recevons beaucoup de la société, cela ne signifie pas que nous soyons naturellement sociables

Nous devons à la société les conditions de notre survie (satisfaction des besoins) Nous lui devons notre langage, les conditions de notre développement intellectuel. En société les hommes s’éduquent, reçoivent des croyances et des valeurs. Cela ne signifie pas que nous soyons naturellement sociables, c'est-à-dire faits pour vivre en société, poussés par une impulsion naturelle à vivre en société.

Etre sociable, c’est avoir conscience d’une identité de nature nous unissant aux autres hommes, être animé par une bienveillance naturelle nous poussant vers eux, uniquement parce qu’ils sont nos semblables.

Etre sociable, c’est aussi, si nous lisons La Rochefoucauld « un ménagement réciproque d’intérêts, (…) Un commerce où l’amour propre a toujours quelque chose à gagner » Cette sociabilité là serait d’avantage basée sur le calcul.

Question: La Sociabilité est- elle naturelle?

Il faut faire la différence entre, être poussé vers l’autre par sa nature, par un élan non réfléchi, non raisonné, et choisir de vivre en société au terme d’un calcul qui peut être un calcul d’intérêt. Il faut rendre compte du fait que, si nous vivons en société, nous y vivions parfois si mal. Les sociétés sont traversées par des rapports de violence et de domination.

Question sous-jacente: qu’est-ce qui génère du lien social, qu’est ce qui assure la cohésion d’un groupe?

Nous avons mentionné l’importance des échanges pour générer du lien social. Si le lien social peut se fonder en nature, il en retire de la solidité. Si le lien social est conquis sur une nature « asociale » ou « hostile à la société », il est beaucoup plus fragile.

Comment aborder la question de la sociabilité ? Penser un état de nature peut nous aider à penser l’apport de la société et les fondements du lien social.

Rappel: la nature de l’homme a été remodelée par la société. L’expérience ne nous livre que de manière tout à fait indirecte cette nature. Nous entrons dans un domaine entièrement spéculatif, mais en paraphrasant Rousseau, nous pouvons dire que cette spéculation est essentielle pour penser ultérieurement la question politique. Rousseau utilise dans le Deuxième Discours, l’image de la statue du Dieu marin Glaucos qui a séjourné au fond de l’eau et dont les traits ont été altérés par des dépôts. (Image reprise du livre X de la République de Platon) Ces spéculations nous livrent sur la sociabilité de l’homme des discours contradictoires: L’enjeu est toujours indirectement: quelle conception se fait on du politique et qu’attend –on de la société politique ?


Exemples:

La démarche de Rousseau dans le Discours sur l’Origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes; « Car ce n'est pas une légère entreprise de démêler ce qu'il y a d'originaire et d'artificiel dans la nature actuelle de l'homme, et de bien connaître un état qui n'existe plus, qui n'a peut-être point existé, qui probablement n'existera jamais, et dont il est pourtant nécessaire d'avoir des notions justes pour bien juger de notre état présent. » Rousseau est celui qui exprime le plus clairement le caractère hypothétique de sa réflexion sur la nature de l’homme; c’est une conjecture. On enlève à l’homme l’apport de la société: l’homme naturel vit seul, il ne parle pas de pense pas.

« Laissant donc tous les livres scientifiques qui ne nous apprennent qu'à voir les hommes tels qu'ils se sont faits, et méditant sur les premières et plus simples opérations de l'âme humaine, j'y crois apercevoir deux principes antérieurs à la raison, dont l'un nous intéresse ardemment à notre bien-être et à la conservation de nous-mêmes, et l'autre nous inspire une répugnance naturelle à voir périr ou souffrir tout être sensible et principalement nos semblables. C'est du concours et de la combinaison que notre esprit est en état de faire de ces deux principes, sans qu'il soit nécessaire d'y f aire entrer celui de la sociabilité, que me paraissent découler toutes les règles du droit naturel. » Préface

L’homme n’est pas sociable, mais fait pour le devenir. L’homme naturel, animal stupide et borné est doté d’instincts: amour de soi, pitié, mais il est aussi perfectible ce qui le sépare des animaux. Seule la vie en société accomplit cette perfectibilité. (Il parle, donc il pense) Rousseau décrit un « âge des cabanes rustiques » qui est une société heureuse: les hommes vivent en autarcie. Les techniques: métallurgie et agriculture font naître les échanges de biens, les échanges engendrent, lorsqu’ils se pervertissent des rapports d’esclavage et de domination. Rousseau ne dit jamais que la vie en société en général corrompt: il y a une dérive possible de la vie en société On pourra faire de bonnes lois et redonner à la vie en société son sens. NB: Ne jamais résumer Rousseau à « L’homme est naturellement bon, la société le corrompt »

Kant propose une analyse toute différente: contre Rousseau, il décrit en l’homme une « insociable sociabilité » - « Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique » Proposition 4 (1784) Kant s’appuie sur une lecture de l’histoire: l’histoire est le lieu des passions et des conflits engendrés par les passions: ambition, cupidité, instinct de domination. Cupidité: désir immodéré de l’argent et des richesses; Passion: pâtir, subir, souffrir mais ici avec un aspect positif d' impulsion à l’action. Les hommes sont sociables, ils recherchent la compagnie de l’homme parce qu’ils savent qu’ils y gagneront le développement de leurs facultés.

Dès qu’ils sont en société, leurs passions les poussent à lutter contre les autres qui leur opposent la même réaction. La vie en société est au départ nécessairement conflictuelle, mais Kant veut montrer que dans ces conflits se trouve le moteur du progrès humain. (Pensez à la main invisible de Smith) Le mal moral peut être dans l’histoire un facteur de progrès. Les rivalités deviennent insupportables: les hommes contraints et forcés se donneront des lois. Kant réfléchit ainsi à la naissance de l’ordre politique.

Ces exemples nous montrent que la question de la sociabilité naturelle de l’homme est une question épineuse. Les penseurs qui font cette démarche la croient cependant utile pour penser la vie en société. Qu’est ce qui peut réunir les hommes en société ?Qu’est ce qui consolide ou au contraire rend fragiles les sociétés ?

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2/ De la société à la société politique

Société se dit au pluriel. Quand va-t-on parler de sociétés politiques?

- Il existe de multiples sociétés ou de multiples associations dont nous faisons partie. « Par organisation, j’entends un nombre quelconque d’hommes réunis par le soin d’un même intérêt ou d’un même genre d’affaires » (Hobbes: Le Léviathan chap. XXII P.237) Ces intérêts peuvent être familiaux, claniques. La société de brigands a pour but la rapine une équipe de football a pour but, la victoire Une Eglise regroupe des hommes pour honorer leur Dieu.

- Quand parle-t-on de société politique?

Les sociétés dont on vient de parler sont des sociétés subordonnées. Dans ces multiples sociétés existent des relations de pouvoir: Le pouvoir, c’est la capacité qu’a un individu d’obtenir d’un autre un comportement qu’il n’aurait pas adopté spontanément. Elles dépendent d’un ordre qui les protège et qui leur impose une régulation. Elles reçoivent leurs règles d’un pouvoir qui les domine. EX: La politique que poursuit une équipe de football pour la victoire n’était pas indépendante des lois françaises: on n’a pas le droit de truquer un match. Un père de famille ne peut priver ses enfants d'instruction: il n'est pas totalement maître des décisions qu'il prend pour sa famille. Ces sociétés subordonnées peuvent se donner leurs règles et leurs buts, mais pas de manière complètement indépendante.

Les sociétés politiques ont un pouvoir suprême, unique source du droit et élément qui donne sa cohésion à la structure sociale. (Il pose des règles que toutes les sociétés subordonnées devront suivre.) Le pouvoir souverain est celui qui est au dessus des autres. (Souverain, de Super, Au-dessus). La souveraineté politique désigne un pouvoir pouvant se déterminer absolument par lui-même. Absolument c'est à dire sans être lié par un autre pouvoir. Il est indépendant (non lié juridiquement). C’est un pouvoir ultime qui n’émane pas d’un pouvoir supérieur. La marque de la souveraineté, c’est donner et casser des lois. (Lois commandements qui s’imposent aux hommes dans leurs relations mutuelles.) Dans notre culture émerge un peu à la fois cette idée de souveraineté et de pouvoir souverain. Nous l’appelons état.

« République est le droit gouvernement de plusieurs ménages et de ce qui leur est commun avec puissance souveraine. » Bodin: Les 6 Livres de la République. (Chapitre 1 et 2)

On reconnaît la société politique à 2 attributs

L’existence d’un pouvoir souverain.

Le consentement au droit.

"Une République est l’affaire du peuple, toutefois un peuple n’est pas n’importe qu’elle association d’individus, groupés de n’importe qu’elle façon, mais une association de nombreux êtres humains réunis en société par l’acquiescement au droit et la communauté des intérêts" Cicéron: République I

Dans une société politique, les actions des hommes sont réglées par le droit


Le pouvoir politique est celui qui imprime au groupe tout entier une impulsion, ce qui suppose une représentation de son but

Questions: Quelles fins assigner aux sociétés politiques? Excellence du citoyen? Ordre ? Coexistence des libertés?

Nous avons plus haut évoqué la conception d'Adam Smith:

Admettre que le fondement du lien social est économique et que les égoïsmes contribuent en s'auto-régulant à construire la prospérité commune le conduit à minimiser le rôle du pouvoir politique. Celui-ci devra assurer un contexte d'ordre, la sécurité des personnes et des biens, mais on n'attendra pas du politique qu'il aille plus loin. (Adam Smith 1723-1790, en écrivant "Recherche sur la nature et les causes de la Richesse des nations " est un des fondateurs du libéralisme économique.

Lorsqu'Aristote définit l'homme comme un "animal politique", il veut dire que l'homme ne peut trouver son épanouissement que dans la cité sous la loi. Rappelons la différence mentionnée plus haut entre " vivre" et " bien vivre". le but de la cité pour Aristote est un " bien vivre", c'est à dire s'accomplir moralement et être heureux.

Ne peut-on essayer de comprendre un homme par sa fin? Pour Aristote, l’homme est en puissance seulement, il doit s’accomplir. Il ne peut atteindre sa perfection qu’avec d’autres hommes avec lesquels il entretient des liens durables. Un homme seul serait un être dégradé. Les dieux, en ce qu’ils sont parfaits peuvent vivre seuls. L’homme n’est pas auto- suffisant, il a besoin de son semblable d’abord pour vivre et se perpétuer (famille), bourgade, groupements de plusieurs familles ( autarcie alimentaire ) mais il a surtout besoin pour bien- vivre, c'est-à-dire pour atteindre son excellence, de la cité. Il y a donc quelque chose dans ma nature d’homme qui me pousse à aller vers mon semblable et à vivre avec lui dans la cité. La fin de la communauté politique, c’est le « bien vivre » ou encore le bonheur en atteignant l’excellence. La fin de la communauté politique est une fin morale. Les lois éduquent, les lois font prendre de bonnes habitudes. Ceci se réalise bien sûr dans la cité qui a une bonne constitution. Ce qui est décrit c’est un idéal vers lequel tendent les hommes pour se réaliser.

ANALYSE DU TEXTE. Les Politiques 1-2 - 1253a

Les attentes à l'égard du pouvoir politique sont plus ou moins grandes. Va-t-on vouloir borner la souveraineté du pouvoir politique? Va-t-on au contraire lui donner l'extension la plus large, en attendant même du politique qu'il s'immisce dans la vie morale?


Ce pouvoir souverain me demande obéissance: qu’est ce qui le fonde ainsi à me faire obéir?

Sa force? J’obéirais alors par prudence.

Qu’est- ce qui peut l’autoriser (fonder moralement) à me faire obéir ? J'obéirais alors en me sentant moralement tenu d'obéir. Je suis dans le registre de l'obligation: je dois vouloir obéir. ( Que je le veuille ou non)

Dans une société politique, il y a des lois. Suffit-il qu’elles existent pour qu’on les dise justes? Il nous faut poser la question de la légitimité du pouvoir politique. Légitimité désigne les conditions de validité d'un pouvoir, son titre pour donner des ordres, pour exiger l'obéissance. L'action du pouvoir politique est exercée par des hommes qui donnent des ordres qui doivent être obéis. Qu'est ce qui rend ces ordres obligatoires et pas seulement efficaces? Max Weber écrit: " De nos jours, la base la plus habituelle de la légitimité est la croyance en la légalité" Doit on dire que les lois existantes valent en elles mêmes parce qu'elles existent ? On est là dans le cadre de ce qu'on appelle un "positivisme juridique" Peut on, au contraire, exhiber une valeur transcendante à la légalité étatique qui permettrait de dire le pouvoir légitime?

Reprenons la formule de Rousseau dans l'Emile: "Il faut savoir ce qui doit être pour bien juger de ce qui est"


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3/Comment fonder la légitimité du pouvoir politique ?

Description d'un état de nature et recours à l'idée de contrat pour penser la légitimité du pouvoir politique

Rappel historique

(Sur ce point voir Robert Dérathé:Jean - Jacques Rousseau et la science politique de son temps - Librairie Vrin.)

En Occident, on a longtemps donné un fondement religieux au pouvoir politique. « Tout pouvoir vient de Dieu » (St Paul Epître aux Romains). Il s’en est suivi des querelles entre le pouvoir religieux et le pouvoir politique pour la prééminence. (Lequel domine l’autre ?). L’intolérance en matière de religion en découlait parce que celui qui ne partageait pas la religion du prince était suspect d’être hostile au pouvoir.

Penser l’état de nature a été une solution pour fonder le pouvoir politique sans référence religieuse. L’état de nature, c’est un état d’indépendance. On pense les hommes, ou l’homme seul (Rousseau) sans lois, mais sans relation avec Dieu. L'homme n’y est pas décrit sous l’autorité de Dieu. Chaque homme a seul par nature autorité sur lui même. On fait dans cette perspective naître le pouvoir politique légitime du consentement humain. C’est l’idée du contrat. Le pouvoir politique légitime est celui auquel on a consenti à obéir. Hobbes, Locke et Rousseau sont des théoriciens du Contrat. La pensée politique moderne s’est forgée dans ce cadre.

Les théoriciens du Contrat ont pensé plusieurs contrats possibles. L’idée générale est qu’on échange une liberté naturelle d’indépendance contre une liberté sous la loi ou contre la sécurité. On donne son consentement. A partir de ce moment là, on n’est plus contraint d’obéir, mais obligé, puisqu’on a reconnu la valeur du pouvoir auquel on se soumet.


Description par Hobbes de l'état de nature

Hobbes décrit un état où les hommes vivent en société, mais sans lois.L’homme est décrit par Hobbes comme un être de désir. A l’état de nature, chaque individu étend sa recherche de satisfaction aussi loin qu’il est en son pouvoir. Aucune norme ne l’oblige à renoncer. Le conflit est généralisé avec un risque permanent de mort. Poussés par leurs passions , rivalité, honneur, fierté , les hommes sont dans un perpétuel état de guerre que la relative égalité qui existe entre eux ( les uns sont plus faibles, mais plus intelligents, ou l'inverse ) fait durer. Chacun doit par l'épée assurer sa propre sécurité. A ceux qui lui reprochent cette description, Hobbes rappelle qu'on met des verrous aux portes, même dans une société politique, et que pour voyager, on se fait escorter. L'homme qui possède une raison et est calculateur va calculer les conditions de sa survie.

Description par Rousseau de l’état de nature

2ème Discours – Rousseau: Question: "Quelle est l’Origine de l’Inégalité parmi les hommes et si elle est admise par la loi naturelle ?" L’état de nature s’oppose à état de grâce. Il s’agit de penser l’homme sans Dieu, sans relation avec Dieu afin de laïciser les fondements du pouvoir politique. Rousseau donne à sa description le statut d’une hypothèse. Par une opération intellectuelle, on ôte à l’homme l’apport de la société.

L’homme naturel est seul, ne parle pas, ne pense pas, n’a ni imagination, ni passion. Il n’y a pas lieu de le dire agressif, mais n’ayant pas d’idées, il ne pense pas le bien et le mal, et n’est pas moralement bon. L’homme dans l’état de nature jouit d’une liberté d’indépendance. Aucun homme ne naît pour être esclave, aucun homme ne naît pour dominer. Deux principes innés sont inscrits dans la nature de l'homme, la pitié et l’amour de soi et il est dit perfectible ce qui le sépare des animaux. Deux principes antérieurs à la raison: « L'un nous intéresse ardemment à notre bien être et à notre conservation et l’autre nous inspire une répugnance naturelle à voir souffrir tout être sensible et principalement nos semblables. » La loi naturelle comme maxime de la droite raison ne saurait s’appliquer à l’état de nature, elle n’est pas antérieure aux lois civiles. Selon Rousseau, les autres penseurs ont mal décrit l’état de nature, ce n’est pas un état de guerre, il n’y a pas de droit naturel raisonné. En résumé: dans la société du 18ème, Rousseau rencontre des inégalités de fait. Sont elles justes ? Pour en juger Rousseau décrit un état de nature, il montre qu’elles ne peuvent être justifiées par une référence à la nature de l’homme. Le pouvoir politique juste sera celui qui restituera aux hommes sous la loi un équivalent de la liberté d’indépendance.

La description de l'état de nature met en évidence des origines de l’inégalité.

L'homme n'est pas sociable, il est seulement "fait pour le devenir". Rousseau fait naître la société d'une catastrophe. L'apport de la société est positif pour l’homme: il parle, il pense, sa vie affective se développe. Voir cours sur le langage. Les inégalités ne prennent naissance qu’avec la corruption de la société. Une société heureuse est possible. A "l'âge des cabanes rustiques", on vit en autarcie, les inégalités naturelles n'entraînent pas de rapport de domination. La perfectibilité engendre les inventions techniques: métallurgie, agriculture d'où vont suivre la sédentarisation et les échanges. Les échanges concrétisent les inégalités physiques. Avec la propriété, celles-ci se changent en inégalités sociales. Ces inégalités sociales vont être fixées par des lois. Les riches tiennent aux pauvres un discours trompeur… les riches proclament que les lois seront utiles à tous. « La société déprave l’homme, parce qu’elle substitue à l’indépendance naturelle, une dépendance mutuelle, qui met tout le monde dans les fers. (Contrat Social, Livre I-6) Il faut bien comprendre que Rousseau ne condamne pas tout état social en général. ( Voltaire le caricature, en disant que Rousseau " veut nous faire marcher à quatre pattes") Le problème politique est ainsi posé: pour faire régner la justice. il faut trouver un système politique qui garantisse chacun de toute dépendance personnelle. Il faut créer une liberté civile (sous la loi) qui restitue à l’homme un équivalent de sa liberté naturelle d’indépendance. Si les hommes jouissent par nature d’une liberté d’indépendance, chacun a seul autorité sur lui même. L’autorité légitime du pouvoir politique ne pourra naître que d’une délégation, d’un consentement. L’Imperium ne peut naître que d’une convention.

Toute autorité politique légitime est de consentement humain. (S’oppose au « Toute autorité vient de Dieu » de St Paul)

NB: La solution à la question des inégalités est elle politique ou économique ? Rousseau montre bien que la propriété privée engendre la corruption. Les propriétaires tiennent un discours trompeur pour exiger des lois qui défendront leurs seuls intérêts. Sa solution au pb de la société juste est pourtant essentiellement politique.

Le contrat au fondement du pouvoir politique légitime

But du Contrat dans le Léviathan de Hobbes

Hobbes donne au Contrat un but sécuritaire . Chacun veut avant tout rester en vie , se voir protégé de son voisin, et voir sa défense assurée contre les ennemis de l'extérieur.On attend de l'ordre politique la création d’une société pacifiée. Il y a un contrat entre les individus au profit de l’état ainsi crée. Le Léviathan est le représentant: tous les individus sont présents en lui, ils l’ont institué. Mais il les remplace, il se substitue aux individus pour légiférer à leur place. Chacun s’est dépouillé de tous ses droits. La volonté du Léviathan est loi.


But du Contrat, dans le "Contrat social" de Rousseau.

Dans un premier temps, les particuliers s’unissent en un peuple, dans un deuxième temps, chaque membre du tout contracte avec le tout. Le contrat fait naître la souveraineté parce que chacun aliène au profit du souverain son indépendance naturelle .La souveraineté réside alors dans le peuple.

a/ But du contrat social : « Trouver une forme d’association qui défende et protège de toute la force commune, la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun s’unissant à tous n’obéisse pourtant qu’à lui même et reste aussi libre qu’auparavant. » ( Livre I Chapitre VI) Qu’attend-on de l’état ou du pouvoir politique ? La sécurité des personnes et des biens et la liberté.

Ici se place le débat entre Rousseau et Hobbes.

Le contrat vise dans le Léviathan la création d’une société pacifiée. Il y a un contrat entre les individus au profit de l’état ainsi crée. Le Léviathan est le représentant: tous les individus sont présents en lui, ils l’ont institué. Mais il les remplace, il se substitue aux individus pour légiférer à leur place. Chacun s’est dépouillé de tous ses droits. La volonté du Léviathan est loi.

Rousseau critique cette soumission à la volonté d'un autre. A quoi peut-on légitimement consentir? Le pacte social légitime ne peut être un pacte de soumission. La liberté est inaliénable. Demander à un homme d’aliéner sa liberté, ce serait lui demander de faire une convention qui tourne toute à son désavantage. « Je fais avec toi une convention toute à ta charge et toute à mon profit que j’observerai tant qu’il me plaira et que tu observeras tant qu’il me plaira » (Contrat Social Livre I chapitre IV) Le pacte social doit empêcher qu’un associé puisse en soumettre un autre à sa volonté. Il faut supprimer les rapports de force. Tous les contractants se soumettent également à la loi sans perdre leur liberté, si la loi émane de la souveraineté populaire: c’est une liberté d’autonomie. (Chacun obéit à une loi qu’il a lui même votée)

b/ Clauses du contrat

Elles se ramènent à une seule dit Rousseau. La liberté est liée à la nature de la loi. Le concept de "Volonté générale " est un concept clef. La loi doit être volonté générale:

Dans un premier temps, chacun se dépouille de tous ses droits naturels, chacun s’en dépouille également, pour qu’il n’y ait pas de privilèges, et pas de rapports de dépendance et reçoit en échange des droits civils, c’est à dire des droits garantis par la loi: propriété de ses biens, liberté civile. C’est la loi qui lui confère ces droits là. Le juste et l’injuste sont maintenant définis par la loi.

Chacun promet d’obéir à la loi. On peut être libre en obéissant. Il faut comprendre comment l’obéissance à la loi, peut garantir à chacun une forme de liberté. L’obéissance à la loi préserve d’obéir à un autre homme. Le citoyen, libéré d’une servitude particulière n’est pas non plus plus écrasé par le joug de la communauté ?

Si la loi est volonté générale, elle vise au bien commun. Elle va donc dans le sens de l’intérêt véritable de chacun. La volonté générale est possible, si un intérêt commun unit les citoyens. Elle n’est pas sacrifice de soi, mais dérive de l’amour de soi. « Faire le bien pour le bien, c’est le faire pour soi, dans son propre intérêt » En obéissant à la volonté générale, je travaille au bien commun en même temps qu’à mon propre bien.

Si la loi ne représente qu’une somme d’intérêt particuliers, au lieu de viser le bien commun, des rapports de dépendance demeurent. On peut se retrouver soumis aux intérêts des autres. (Par exemple, en termes modernes des intérêts économiques d’une minorité.)Dans ce cas la loi est selon le vocabulaire de Rousseau "Volonté de Tous"


Qu’est-ce qu’une loi ?(une bonne loi)« C’est une déclaration de la volonté générale sur un objet d’intérêt commun » « C’est quand tout le peuple statue sur tout le peuple ». La loi doit émaner de tout le peuple et ne jamais statuer sur un cas particulier. ((Par exemple si la loi dit qu’il y aura des privilèges, elle ne dit pas quel particulier doit en jouir). Statuer sur un cas particulier c’est appliquer la loi, c’est un acte de magistrature.

c/ Comment faire pour que la volonté générale soit bien dégagée ?

Il faut que chaque citoyen fasse abstraction de ses intérêts particuliers et statue en fonction de sa conception raisonnable du bien commun. Il faut qu'il ait de la vertu et du civisme. Beaucoup de conditions sont à réunir pour que la volonté générale soit bien dégagée, et en particulier des conditions d’information du citoyen. « Si le citoyen suffisamment informé délibère.... » (Voir livre II chapitre III Si la volonté générale peut errer) Il faut de l’instruction, (Cf Condorcet), une bonne circulation d’une information pluraliste, il faut que les questions politiques ne soient pas trop complexes.

Il y a toujours un danger: que des intérêts particuliers soient pris en compte. Rousseau écrit que le peuple veut toujours le bien, mais qu’il ne le voit pas toujours. D’où l’intervention du législateur: il faudrait un Dieu pour donner la loi aux hommes, formule qui est l’expression d’un constat d’impuissance: le peuple sera-t-il jamais capable de se donner de bonnes lois ? On sait très bien qu’on ne trouvera jamais de législateur divin, et les législateurs humains ont trop tendance à faire les lois à leur profit.


Il faut une éducation à la citoyenneté: être revêtu du statut juridique du citoyen ne suffit pas, chacun doit donner de la consistance à ce statut: vouloir s'informer, dégager de son temps pour la participation à la vie politique, le distraire au besoin du temps consacré aux affaires privées. (il faut de la vertu civique) Il faut aussi des conditions extérieures comme la libre circulation des opinions dans l'état, une presse pluraliste (etc.) Liberté d'opinion dans l'état. Les conditions juridiques de la liberté sont essentielles, mais la liberté s'apprend également.

Le problème de la République est-il insoluble ? Kant dans « Qu’est-ce que les Lumières » souligne bien qu’on ne peut pas devenir libre sous la conduite d’un autre. tout peuple doit faire lui même ses expériences, même si elles sont périlleuses.


Le "Contrat social " décrit une norme , il définit une exigence. Les Républiques réelles - dont la nôtre- sont encore à distance de l'idéal défini.




4 / Fonder la légitimité du pouvoir politique requiert-il la référence à un droit naturel?

Notre République a pour fondement la souveraineté populaire. Le peuple vote la loi indirectement par le biais des représentants qu'il s'est choisi.


La Constitution de la V ème République renvoie pourtant dans son Préambule à la Déclaration des droits de l' homme de 1789.

Nous admettons donc la référence à des droits inaliénables attachés de toute éternité à l'essence de l'homme.


( Voir la Lecture des Déclarations des Droits de l'Homme )Les Droits de l' Homme




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5 / Que gagne-t-on à vivre sous la loi? ?

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Nous nous plaçons toujours dans la perspective de la " bonne loi" , volonté générale.(Voir Contrat Social Livre I Chapitre VIII De l'état civil)

Vivre sous la loi change la simple possession en propriété garantie par la loi.

Vivre sous la loi confère une liberté physique :ne pas périr sous les coups d’un assassin. « C’est pour ne pas être victime d’un assassin qu’on consent à mourir si on le devient » Le contrat social a pour fin la conservation des contractants, cela suppose quelques risques

Vivre sous la loi confère une liberté morale :

« O Emile, où est l’homme de bien qui ne doit rien à son pays ?Quel qu’il soit, il lui doit ce qu’il y a de plus précieux pour l’homme, la moralité de ses actions et l’amour de la vertu ». Emile Livre - V - 7'


a/La liberté civile est –elle supérieure à la liberté naturelle ?

Hobbes considère que le pouvoir politique ne fait que prendre en charge la sécurité des sujets et assurer leur désir fondamental: la survie; on gagne seulement la paix civile et cette liberté physique qui consiste à de ne pas être agressé par son prochain. On n’attend pas du pouvoir politique la conversion à une quelconque moralité. Rousseau par contre attend de l’état civil plus que la liberté physique. La vie sociale, sous de bonnes lois doit pour lui achever d’accomplir l’humanité de l’homme. Il pense que nous sommes capables d’être raisonnables. En chacun d’entre nous, il y a un individu et un être raisonnable qui peut passer de la considération de son intérêt privé à l’intérêt général. Chaque fois que la loi nous interdit de céder à « l’impulsion physique » c’est à dire au mécanisme de la nature, elle nous éduque moralement, elle nous fait être raisonnable en nous amenant à obéir à une loi raisonnable. C'est le déploiement de la perfectibilité de l'homme.

On ne peut pas dire seulement " l'homme est libre", la liberté morale s'apprend également, elle prend sa consistance sous de bonnes lois. Contrat social livre I chap 8 : « L’impulsion du seul appétit est esclavage, l’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté » Contrat Social Livre I Chapitre VIII

b/La loi peut- elle rendre moral un citoyen?

Comment pourrait-on en juger. ?

Aristote : la loi fait prendre de bonnes habitudes et à la longue la partie irrationnelle de l’âme semble modelée.

La moralité est elle seulement affaire de comportement extérieur? Rendre moral un homme, n'est -ce pas transformer sa volonté, la rendre bonne? Il faut faire la différence entre agir conformément à la moralité ou par moralité.(Ne pas voler par calcul égoïste d’intérêt, par peur d’être puni, ou ne pas voler parce qu’on considère qu’il est immoral de voler.) Kant dans le Projet de Paix perpétuelle, écrit que la loi peut faire de nous de bons citoyens (régler nos comportements extérieurs), elle ne peut pas nous rendre moraux. Un peuple de démons serait un peuple de gens toujours animés d’une volonté mauvaise. Même un peuple de démons peut se donner une bonne constitution. Sans prendre en compte l’intériorité de la volonté, on peut obtenir une obéissance à la loi telle que les libertés puissent quand même coexister. Une question est en suspend : « Qu’attendons nous de l’état ? Appartient-il aussi à l’état de nous éduquer moralement ? »

c/Le pouvoir politique doit-il prendre pour fin d’éduquer moralement le citoyen?

Cela supposerait en un sens que la loi positive de l’état doit l’unique principe de justice, ou que le pouvoir politique se constitue en autorité morale.

Ne serait-ce pas affirmer que le pouvoir politique doit régner entièrement sur les consciences ?


« La volonté générale écrit Rousseau(..) qui est source des lois, est pour tout les membres de l’état, par rapport à eux et à lui, la règle du juste et de l’injuste. » (Économie Politique 1 241-242 ) Rousseau semble récuser l’idée de l’existence d’une loi naturelle ayant encore autorité après le Contrat, ou de la possibilité pour la conscience individuelle de juger la loi au nom de ses principes moraux.


"Le pouvoir souverain ne peut passer les bornes de l'utilité publique" écrit Rousseau. Qu'est ce qui est d'utilité publique? N'est-ce pas le législateur lui même qui en décide? Prenons un exemple: "Les sujets ne doivent compte au souverain de leurs opinions qu'autant que ces opinions importent à la communauté" (Livre IV Chapitre 8) Il est question dans ce chapitre des opinions religieuses et de la religion civile. Rousseau pense qu’un athée ne peut-être un bon citoyen, pas plus qu’un catholique romain . On doute qu'un athée puisse respecter les contrats . Un catholique romain risque d'être pris dans le dilemne d'une double obéissance ( à Rome et à la loi de l'état). D’où, imposés par le Contrat, les dogmes d’une religion civile. (existence d’un Dieu rémunérateur et vengeur, immortalité de l’âme, tolérance)

Ne peut-on craindre que la volonté générale ne tende à s’immiscer dans les consciences et à imposer des valeurs morales ?

. La liberté ne consisterait-elle pas à soustraire une sphère privée à l’emprise du pouvoir politique ?(sphère des opinions religieuses et des valeurs morales) C'est la question du libéralisme politique. Benjamin Constant oppose la Liberté des Anciens, à la Liberté des modernes. La liberté des Anciens repose sur la participation à la vie politique.La règle démocratiquement élaborée peut entrer dans le détail de l’existence quotidienne,(légiférer par exemple sur le nombre de cordes que doit avoir tel instrument de musique) l’Ancien ne s’en considère pas moins comme un homme libre. Les modernes dit Benjamin Constant, aspirent à soustraire à l’emprise du pouvoir politique la conduite de leur existence (dire son opinion, aller et venir, se réunir à d’autres pour le culte ou par fantaisie.Il faut marquer une frontière entre l’existence privée de l’homme, qui inclut la sphère économique et ce qui concerne le citoyen .

La liberté consiste pour les modernes à se garantir contre l’emprise du pouvoir politique.

d / Conclusion: Qu'est ce qu'être libre politiquement ?

Être citoyen et voter la loi qui nous préserve d'être des sujets ? ( d'obéir à une volonté étrangère à la notre ), ou bien jouir d'une sphère privée dans laquelle la loi ne pénètre pas ? On peut emprunter à Hobbes la formule: n'est-on pas libres dans le silence de la loi?



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6/ La question de l'exécution de la loi :pouvoir de l'état et force.

1/ Qu’est- ce que gouverner ?

Gouverner, c’est appliquer la loi. La loi est toujours générale, il faut l’appliquer à des cas particuliers. Il s’agit d’actes de magistrature. (Le magistrat, celui qui applique la loi)

En France, nous vivons sur un principe hérité de Montesquieu, celui de la séparation des pouvoirs. Tout pouvoir pensait Montesquieu tend à « abuser du pouvoir ». Il faut que le pouvoir arrête le pouvoir.

Rousseau songe plutôt à la prééminence du pouvoir législatif. Les magistrats doivent être enfermés dans « l’enceinte sacrée des lois ». (Voir Lettres écrites de la Montagne - Huitième Lettre ) Ils ne doivent pas modifier les lois, ni même en modifier l’esprit en les appliquant. Le peuple souverain est plutôt appelé à exercer une surveillance sur les magistrats. Rousseau se préoccupe des problèmes liés à la délégation du législatif. Toutefois, réfléchissant à une Constitution réelle, pour la Pologne, il admet la nécessité de députés. La légitimité du pouvoir politique est donc surtout liée pour lui à la qualité du législatif.

Plusieurs formes de gouvernement sont possibles toutes aussi légitimes. Si l’exécutif est confié à un seul, ou à plusieurs, on aura une monarchie, ou une aristocratie. Dans les deux cas, il y a République, si la loi est volonté générale. « J’appelle République, tout état régi par des lois ».

2/Le cas particulier de la démocratie.

Le texte du Contrat Social énonce une norme et nous faire prendre conscience de la distance entre la norme et la pratique réelle, afin de comprendre mieux les difficultés et les risques des pouvoirs politiques existant.

Au sens courant, actuellement, nous appelons démocratie un système politique dans lequel il y a souveraineté populaire, souveraineté déléguée d’ailleurs à des représentants. Nous jugeons démocratique, un état dans lequel les valeurs des droits de l'Homme sont respectées.

La démocratie pour Rousseau, dans le Contrat Social est une forme particulière de gouvernement, idéale et impossible. Le pouvoir législatif n'est pas délégué à des représentants. Le peuple souverain y exerce également toutes les magistratures, l’exécutif n'est délégué.

Idéale, parce que celui qui fait la loi, saurait l’appliquer sans en pervertir l’esprit. Impossible, parce que la loi étant toujours générale, le législateur risque de se corrompre s’il se préoccupe trop en même temps de l’application à des cas particuliers. En ce sens, aucune démocratie n’a jamais existé.

Rousseau énumère un grand nombre de conditions: « Un état très petit, où le peuple soit facile à rassembler … une grande simplicité de mœurs qui prévienne les questions épineuses … beaucoup d’égalité dans les rangs et les fortunes, pas de luxe … » Athènes a connu des formes politiques se rapprochant de cette démocratie idéale, (mais pour un nombre restreint de citoyens ). Il est difficile de faire qu’un peuple soit constamment assemblé sur la place publique et exerce des magistratures, au risque de délaisser ses affaires privées. Un tel système de gouvernement serait fragile, sujet à la démagogie et aux passions populaires. « sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines. » « S’il y avait un peuple de Dieux, il se gouvernerait démocratiquement, écrit Rousseau. Un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes » Contrat Social - Livre 3- Chapitre IV


NB : Le mot démocratie peut revêtir plusieurs sens différents, et il faut toujours le préciser.

-Démocratie au sens du Contrat Social

-Démocratie au sens actuel courant

-Démocratie au sens de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique, ou le mot démocratie renvoie à une transformation en profondeur de l'organisation sociale lié à l'égalité des conditions. Analyse du Texte de Tocqueville

3/ Tout état, pour faire exécuter la loi n'a-t-il pas besoin de la force?

Chaque citoyen, même s'il reconnait le bien fondé de la loi a souvent envie de s'en exempter. Il faut que l'état dispose d'un appareil de sanctions. Max Weber sociologue, définit l'état par "le monopole de la violence légitime"

La loi juste doit être aussi forte , sinon elle reste lettre morte.

« En effet chaque individu peut comme homme avoir une volonté particulière contraire ou dissemblable à la volonté générale qu'il a comme citoyen. Son intérêt particulier peut lui parler tout autrement que l'intérêt commun;.... Afin donc que le pacte social ne soit pas un vain formulaire, il renferme tacitement cet engagement qui seul peut donner de la force aux autres, que quiconque refusera d'obéir à la volonté générale y sera contraint par tout le corps: ce qui ne signifie autre chose sinon qu'on le forcera à être libre" (Contrat Social Livre I chapitre VII)

Rousseau admet qu’on puisse exercer sur les citoyens « une contrainte pour la liberté » Si la loi est bonne, c’est faire malgré lui le bien du citoyen que de lui imposer l’obéissance à la loi : c’est le pousser vers son propre bien . Les adversaires de Rousseau font remarquer que Robespierre et Saint Just ont voulu exercer le « terreur » pour le bien . « La Terreur, c’est la Vertu » .

La force peut donc être être mise au service du droit. Rousseau admet la peine de mort.Les citoyens qui reçoivent la protection de la loi doivent aussi accepter de mourir lorsqu'ils se rendent coupables d'une transgression.

"Le traité social a pour fin la conservation des contractants. Qui veut la fin veut aussi les moyens, et ces moyens sont insépa- rables de quelques risques, même de quelques pertes. Qui peut conserver sa vie aux dépens des autres doit la donner aussi pour eux quand il faut. Or, le citoyen n'est plus juge du péril auquel la loi veut qu'il s'expose ; et quand le princes lui a dit : « II est expédient à l'État. que tu meures », il doit mourir, puisque ce n'est qu'à cette condition qu'il a vécu en sûreté jusqu'alors, et que sa vie n'est plus seulement un bienfait de la nature, mais un don conditionnel de l'État La peine de mort infligée aux criminels peut être envisagée à peu près sous le même point de vue : c'est pour n'être pas la victime d'un assassin que l'on consent à mourir si on le devient".Contrat Social

4/ L'état n'est il pas toujours l'expression des rapports de force ? Critique marxiste de l'état.

Si l’on regarde l’appareil d’état, on constate qu’il « fonctionne à la violence » : police gendarmerie, armée, tribunaux, prisons incarnent l'état. Althusser ajoute l'école comme appareil idéologique d'état.

L’état est il vraiment un arbitre entre des intérêts en conflits ? N’est-il pas plutôt le moyen pour une minorité d’exercer son pouvoir sur le reste de la société? Si l’état est à ce point violent pensent Marx et Lénine, c’est parce qu’il est toujours au service d’une classe dominante. Ils parlent alors de l'état "féodal" ou de l'état "bourgeois"

Dans une société, il n’y a jamais de bien commun, ou d’intérêt commun mais il y a lutte des classes.

L’idéologie véhiculée par la classe dominante donne l’apparence d’un bien commun. Ce qu’on appelle juste, à une époque donnée, c’est ce qui sert les intérêts de la classe dominante. Pour Marx la justice est l’expression de rapports de force.

D’où la lecture marxiste de la Déclaration des Droits de l’homme, qui consiste à y voir la sauvegarde des droits de la bourgeoisie (défense de la propriété privée par exemple) et le moyen de la conquête du pouvoir politique par la bourgeoisie au détriment de l’aristocratie féodale, les intérêts de la bourgeoisie étant présentés comme des intérêts universels. L'état doit dépérir, puis disparaître, si la révolution parvient à supprimer les rapports de classe. Nota Bene: Lénine, dans L'état et la Révolution" (1917) fait la théorie d'une dictature du prolétariat, et donc du maintien transitoire d'un état armé et fort pour lutter contre les ennemis de la Révolution. L'ex URSS, n'a connu que cet état "socialiste" et non le dépérissement de l'état d'une société communiste. ( Si l'on en reste à la théorie.)


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7 L'exécution de la loi: La justice: appliquer la loi dans des cas particuliers.

Justice et équité

Si le juste c’est ce que stipule la lettre la loi, alors le juge doit se borner à mettre en relation la généralité de la loi avec des cas particuliers. Ne faut-il pas faire intervenir une vertu de justice qui serait propre.au magistrat ? C'est la vertu d'équité.

La loi n’ a pas pu prévoir tous les cas : il y a des vides juridiques .

« Quand la loi pose une règle générale, et que là-dessus survient un cas hors de la règle générale, on est alors en droit, là où le législateur a omis de prévoir le cas et a péché par excès de simplification, de corriger l’omission et de se faire l’interprète de ce qu’eut dit le législateur lui-même s’il avait été présent à ce moment, et de ce qu’il aurait porté dans sa loi s’il avait connu le cas en question ». Ethique à Nicomaque - Aristote V- 14


Appliquer la loi à la lettre peut dans certains cas sembler injuste: le vol en cas de nécessité quand on est sur le point de mourir de faim est-il condamnable au même titre qu'un vol pour se procurer du superflu?

L’équitable est un correctif de la loi, là où la loi a manqué de statuer à cause de sa généralité.

« L’équitable, tout en étant juste, n’est pas le juste selon la loi, mais un correctif de la justice légale. » La loi a besoin d’équité. Elle a besoin de descendre vers la particularité des cas. Aristote prend l'exemple de la règle de plomb utilisée dans les constructions de Lesbos, règle qui suivait le détail de l'architecture.

Dans un cas particulier, il faut s’autoriser à se faire l’interprète de la loi


Ne faut il pas parfois désobéir a la lettre de la loi pour retrouver son esprit?

Il faut distinguer l’esprit et la lettre de la loi.

Exemples de St Thomas: La loi veut que l'on rende les dépôts. si un fou a laissé son épée en dépôt, il est bon de ne pas le lui rendre. Une bonne loi est faite pour le bien commun. Contre la lettre de la loi, il faut retrouver son esprit. rendre au fou son épée pourrait aboutir à engendrer une conséquence contraire au bien commun. La loi stipule un couvre-feu: il faut fermer les portes de la cité. Si des défenseurs utiles à la cité se trouvent hors les murs, on va ouvrir les portes de la cité pour aller dans le sens de l'esprit de la loi qui vise le bien commun. On peut donc désobéir à la lettre de la loi, pour retrouver son esprit.

La valeur de la jurisprudence.

Actuellement en France, il y prolifération de lois, les textes de loi se particularisent: on va vers le décret pour enserrer le juste dans la lettre de la loi.

L'Angleterre, est un pays de Common Law. Le droit est jurisprudentiel. Le droit anglais n’a pas été défini par le législateur, mais peu à peu par les cours de justice. On a jugé selon les circonstances en évitant les règles générales abstraites. Beaucoup de décisions sont issues de magistrats non professionnels. il s'agit d'un droit jurisprudentiel inachevé. C’est au jugement qu’il incombe d’être juste.

Conclusion: on a écrit la loi pour préciser la légalité; même si on admet que cette légalité est juste encore faut-il, pour faire régner la justice dans des situations particulières qu’un homme invente, innove là où la loi ne dit rien, et cela fait intervenir la vertu d’équité.



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8 / Justice et justice sociale

La justice suppose – t - elle l’égalité ?Les concepts aristotéliciens

La justice renvoie pour nous à l’égalité en droits. Nous avons hérité nos concepts de justice d’Aristote. Aristote distingue deux aspects de la justice

L’un renvoie à la proportionnalité

L’autre à l’égalité .

La justice distributive, répartit les charges et les biens selon une proportion géométrique, fonction des mérites et des capacités. « Si les personnes ne sont pas égales, elles n’auront pas de part égale. »

La justice de la distribution doit se baser sur le mérite, mais les critères du mérite varient selon les régimes politiques et les valeurs reçues dans une société. Proportionnalité

La justice commutative et corrective''.

Dans les transactions privées, c’est une égalité arithmétique qui l’emporte.

« Il faut égaler objet à objet, de telle façon que ce que tout ce que l’un a reçu en plus, il le restitue en égale quantité ».

Ceci vaut pour l’achat et la vente, transactions volontaires.

Certaines transactions sont « involontaires » : le vol , le meurtre

« Le juge s’efforce au moyen du châtiment d’établir l’égalité en enlevant le gain obtenu » (Éthique à Nicomaque V 7)

Si l’on fait une synthèse, l’injuste est celui qui prend plus que sa part des bonnes choses (richesses, honneurs) et pas assez des mauvaises (travail, danger).L’action juste est un moyen terme entre avoir trop et avoir trop peu.


La justice dans la société La théorie de la justice de Rawls

Rawls essaie de pensée une société juste, ou la justice ne passe pas seulement par l’égalité en droits.' Sa réflexion est menée à partir de deux refus.

Refus des sociétés qu’il nomme totalitaires ( ex URSS)

Refus des conceptions utilitaristes en vogue dans le monde anglo-saxon

Les sociétés totalitaires :

Elles ont essayé de faire régner la justice, conçue comme égalité, mais au mépris des droits libertés. Les droits sociaux sont égaux mais les individus sont privés des libertés de se déplacer , de penser , d’entreprendre .. .

Les conceptions utilitaristes Stuart Mill.

Les utilitaristes pensent que chaque individu est animé par la recherche de son utilité, son plus grand bonheur, son plus grand plaisir. Chacun peut promouvoir ses fins s’il n’affecte pas le bien être des autres.

Ce qui vaut pour tout individu vaut pour toute la société.Il faut augmenter le bien être du groupe

Selon la doctrine utilitariste, chacun a le devoir moral de chercher en toute occasion à accroître l’utilité générale ; ou en d’autres termes à contribuer au plus grand bonheur du plus grand nombre Le bien commun est défini comme une somme de plaisirs. On juge les actions à leurs conséquences et non à leurs intentions. « On vise le plus grand bien du plus grand nombre » Les sociétés utilitaristes sont des sociétés sacrificielles. On peut accepter la douleur d'une visite chez le dentiste pour se procurer le bien être de ne plus avoir mal aux dents.L’utilitarisme légitime toute violation des droits de l’homme si elle est nécessaire à l’accomplissement du bien commun

Dans un village indien, 20 indiens vont être fusillés pour l’exemple, on demande à Jim d’en tuer un lui-même et les 19 autres seront épargnés.N'y -at-il pas alors une rationalité de l'acceptation du meurtre?

Il y a une rationalité du sacrifice.("Il était un petit navire", on sacrifie le plus jeune) "Le vaisseau est l’emblème de chaque nation, tout devient légitime et même vertueux pour le salut public » HELVETIUS 1758

L’utilitarisme accepte donc que le bien être social ait son lot de victimes. Rawls affirme au contraire que chaque personne possède une inviolabilité qui, même au nom du bien être de toute la société ne peut être transgressée.

La solution de Rawls.

Le but de la politique démocratique n’est pas d’augmenter le taux net de satisfaction sociale , mais de répartir les avantages et les tâches selon des principes susceptibles d’être acceptés par tous;

On place tous les sociétaires sous un voile d’ignorance:

Le voile d’ignorance est une fiction comparable à l’état de nature. Chacun ignore son statut social, sa place dans la société. Chacun décide en tant qu’être raisonnable, ignorant ce qui l’individualise.

Deux principes se dégagent:

En schématisant beaucoup:

1/ Les droits -libertés doivent être les mêmes pour tous

"Chaque personne doit avoir un droit égal au système le plus étendu des libertés de base pour tous qui soit compatible avec le même système pour les autres."

2/ Les inégalités sociales et économiques peuvent subsister Elles doivent être à l’avantage de tous et organisées de telle sorte qu’elles servent à améliorer la position des plus défavorisés.

Il y pour Rawls des inégalités naturelles (talents) et sociales irréductibles qui se traduisent par des différences de productivité. Le problème n’est pas tant de vouloir les supprimer que de les mettre au service de tous et des plus défavorisés.

Il y a des inégalités injustes et des inégalités justes. Celui qui pourrait être la victime ne sera pas sacrifié au nom du bien commun. Il suffit que la position du plus mal loti s’améliore pour que l’état final soit plus juste.

L’état le plus juste est l’état qui au point de vue économique et social rend maximale la position du sociétaire le plus défavorisé: MAXIMIN Il faut Maximiser la position minimale.

Donc pour Rawls une société juste peut admettre des inégalités.

Les politiques qui vont dans le sens de ce Maximin sont des politiques de redistribution par l’impôt ou de discrimination positive. Mais il faut que ces politiques de transfert vers les plus défavorisés ne découragent pas les plus productifs.



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9 /Qu'enseigne la pratique politique ? Les leçons du réalisme politique.

Les limites de l'idéalisme politique

Jusqu'à présent, notre approche du politique a consisté, A/ A choisir une référence éthique, à tenter de trouver une norme pour juger tout pouvoir politique (est juste tout ce qui est conforme au droit naturel) B/ A définir un « meilleur régime » : la République ou une « meilleure forme de. gouvernement » la démocratie. C/ à se demander si l'homme peut devenir « meilleur « sous la loi.

La philosophie, lorsqu'elle se penche sur la politique doit -elle seulement réfléchir à un devoir être ? Ce faisant, ne risque-t-elle pas de parler de quelque chose qui n'existe pas ? Sur le plan moral, elle parle d'homme doués d'une perfection qu'on ne rencontre jamais : Les hommes devraient être des citoyens raisonnables soucieux du bien commun ... On en est réduit à déplorer que les hommes n'aient pas cette perfection qu'ils devraient avoir. La réalité paraît insuffisante. De même les défauts des constitutions paraissent être dus à la perversité humaine. Les idées politiques risquent d'être utopiques, si elles exigent pour être mises en pratique de s'appliquer à des hommes qui n'existent pas. Si les hommes étaient parfaits, il n'y aurait pas besoin de constitutions. La philosophie, en cherchant l'idéal, manque le réel tel est le reproche fait à ce qu'on appelle alors " l'idéalisme en politique"

Ne faut-il pas mener l'investigation du côté de la réalité et trouver des enseignements dans l'expérience ?

Le politique pratique : c'est celui qui agit. (Vocabulaire de Spinoza, dans le Traité Politique) Il a affaire à des hommes réels dont la nature ne semble pas tournée vers la bonté : « Il y aura des vices aussi longtemps qu'il y aura des hommes » Ces politiques pratiques s'attachent « à leur salut personnel », « s'adaptent à la malice humaine ». Mus par la crainte de perdre leur pouvoir, ils emploient souvent des moyens immoraux. On les taxe d'immoralité.

Qu'enseigne le politique pratique ?

Cela revient à se demander ce qu'enseigne l'expérience historique, à regarder agir les hommes politiques dans une courte séquence historique.. On s'en tient alors au phénomène, à ce qui apparaît dans l'histoire. Il faudra se demander si ce qu'on conclut de l'expérience peut être une objection contre l'Idée.

Machiavel dans « Le Prince » choisit d'avoir un tel regard sur la politique.

Nous alors faire une courte analyse de ce qu'on a pu appeler " le machiavélisme".

On peut retenir 3 points :

1 / Le politique pratique a pour but la puissance.


2/ La politique est une activité circonstancielle pour acquérir et garder le pouvoir, elle est mise en œuvre de moyens adaptés à ce but. Elle est de l'ordre de la technique.


3/ La nature humaine est telle que la politique est en rupture avec la morale, si elle veut être efficace.


Machiavel a laissé son nom à l'emploi de moyens tortueux, de l'ordre de la ruse, pour parvenir à ses fins (procédé Machiavélique). Il faut savoir que ce qu'on connaît historiquement sous le nom de machiavélisme ne recouvre pas totalement la pensée de Machiavel. Spinoza qui l'a très bien lu en fait un théoricien de la liberté des peuples.


1/ Le but du politique : c'est la puissance.



Machiavel, analysant la réalité politique, y discerne des rapports de commandement à obéissance. Les états existent s'ils ont la force d'imposer leur ordre à l'intérieur et à l'extérieur, sinon, il n'y a pas d'état, mais le chaos. Tout état existant historiquement peut être considéré comme une domination. (et cela quel que soit le régime politique , monarchie ou république ;) Machiavel ne pose donc pas dans « Le Prince » la question du meilleur régime. (Il refuse de construire une principauté idéale à la manière de Platon.)


Dans le chapitre premier du Prince, on lit : « Tous les états, toutes les dominations qui ont tenu et tiennent encore les hommes sous leur empire, ont été et sont ou des républiques ou des principautés. » Machiavel classe les pouvoirs politiques selon une logique de l'acquisition. Un prince peut être "prince héréditaire", il lui faut durer. Il peut être « prince mixte » qui agrandit son domaine, comme Louis XII roi de France qui veut faire des conquêtes en Italie. "Prince nouveau", il conquiert des états à partir de rien, comme le fait César Borgia qui conquiert la Romagne.

Machiavel récuse l'opposition entre pouvoir légitime et pouvoir usurpé. Un pouvoir dit légitime est un pouvoir anciennement fondé sur un coup de force : l'usurpation est suffisamment ancienne pour qu'on l'ait oubliée. « Dans l'ancienneté et dans la longue continuation d'une puissance, la mémoire des précédentes innovations s'efface. » (Fin du chapitre II) Le prince héréditaire a seulement le privilège d'exploiter le succès remporté autrefois dans la lutte par un prince nouveau. Il doit durer. La situation du prince nouveau permet de faire mieux apparaître les problèmes qui se posent au politique, parce que les difficultés y sont radicalisées.

Le recours aux exemples historiques :

Machiavel emprunte donc des exemples au passé pour donner des conseils aux princes du présent. Ces conseils sont fonction du but qu'il suppose être celui de tout politique : le maintien de l'état. Il donne des préceptes d'efficacité technique : il analyse des stratégies du pouvoir. S'appuyer ainsi sur des exemples historiques suppose une certaine lecture de l'histoire. L'expérience est toujours changeante, mais certaines constantes s'y rencontrent. Le prince, comme le théoricien doit essayer de repérer un ordre dans les accidents pour en gouverner le cours. La matière historique n'est pas radicalement contingente. Il y a des régularités qu'on peut repérer. On pourrait dire, en employant un vocabulaire contemporain, qu'il y a des leçons de l'histoire, mais pas au sens moral.

Il y a donc des règles : par exemple à propos de Louis XII roi de France, Machiavel écrit : « Louis XII a perdu la Lombardie pour ne s'être conformé à aucune des règles que suivent tous ceux qui, ayant acquis un état veulent le conserver. Il n'y a là aucun miracle, c'est une chose toute simple et toute naturelle. » (Fin du Chapitre III) Machiavel emprunte deux exemples au présent, celui de Sforza, duc de Milan, et celui de Borgia. Notons au passage que Machiavel quitte parfois le champ de l'histoire pour aller vers l'Ancien Testament (Moïse comparé à Savonarole.) ou même la mythologie.



2/ Les moyens du politique.

Machiavel analyse doc le choix par les princes du passé des moyens adéquats qui sont jugés en fonction de leur efficacité et non en fonction de leur moralité. II s'appuie sur des exemples historiques, voit comment agissent réellement les princes.

Kant dans le « Projet de Paix Perpétuelle » fait une analyse du « machiavélisme »

  • Si le fait l'accuse, le résultat l'excuse. (Le résultat allégué valide le crime.)
  • Nie ce que tu as commis. (L'offensive relève de la légitime défense)
  • Divise pour régner : à l'intérieur, les grands, à l'extérieur, les ennemis.

Borgia, conquiert la Romagne Il élimine par la violence tous les opposants.

Qu'en est-il de l'usage de la violence en politique ? Machiavel considère qu'il faut faire"tout le mal ensemble". La République de Florence qui n'ose pas se livrer à une répression sanglante en conquérant Pistoia fait durer les troubles et n'obtient pas la pacification. Borgia a agi correctement et est en définitive moins cruel que les Florentins. Il a d'autant mieux agi qu'il a envoyé un de ses capitaines éliminer les opposants et qu'il a ensuite fait exécuter ce capitaine, ménageant ainsi sa propre image. etc..

Machiavel adopte une perspective de neutralité éthique quand il rapporte l'action du prince.

II juge techniquement de l'adaptation des moyens aux fins. Il utilise le couple fortune-vertu pour décrire les actions du prince. La vertu du prince, c'est essentiellement l'art de maîtriser la contingence des événements, l'art d'imposer sa volonté. Plus un prince doit à la fortune, moins il a besoin de vertu. Borgia doit à la fortune sa parenté avec le pape régnant, prince temporel puissant, le reste vient de sa vertu propre. Notons au passage, qu'œuvrant pour lui, Borgia a aussi œuvré pour le bien commun. La vertu du prince s'accomplit au mieux quand il exécute une grande tâche, qui dépasse son propre intérêt. Machiavel semble valoriser la violence lorsqu'elle est fondatrice de l'état et instaure un ordre.



3/ La nature humaine est telle que les moyens les plus efficaces sont souvent les moyens les plus immoraux.

Au chapitre XVIII du Prince, Machiavel pose la question : "Un Prince doit - il être loyal ? " Il compare le prince au centaure, moitié homme, moitié animal. Le prince agit en homme, selon la loi quand il le peut, mais la plupart du temps, il doit user de force comme le lion ou de ruse, comme le renard. Un prince, qui voudrait être moral, perdrait vite son pouvoir dans un monde où les autres ne le sont pas. Il serait louable qu'un prince ait de bonnes qualités, mais souvent ces qualités le gêneraient dans son action. Il s'agit plutôt de paraître avoir certaines qualités, de se faire une réputation, de calculer son apparence. Le Prince adapte son action à un monde où les hommes sont méchants dissimulés, infidèles. Le réalisme politique prend pour acquis cette noirceur de la nature humaine.

NB : Au XVIIIème siècle, on pensera plutôt que les hommes sont méchants parce qu'ils vivent sous de mauvaises lois, et que des bonnes lois les rendront raisonnables.


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Sujets de dissertation :

La politique est -elle une technique ?

Quels rapports la politique entretient-elle avec la morale?

La politique peut -elle viser à autre chose qu'à l'efficacité?